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Sur la rue du temple d'Isis, n° 1, et à la suite des propylées du Forum triangulaire, on trouve une porte qui, d'après les traces qui subsistent encore, semble avoir été surmontée d'un petit toit porté sans doute par deux colonnes ; elle donne accès à un édifice que l'on commença à reconnaître en 1768, mais qui ne fut déblayé qu'en 1797 ; d'après son style, il doit être un peu postérieur à l'Hécatonstylon, ses colonnes étant de même ordre, mais de proportions plus sveltes.

Sa destination a donné lieu à bien des conjectures ; on y a vu un marché, une école, un lieu d'initiation, un tribunal. Décrivons d'abord ses diverses parties ; nous examinerons ensuite comment elles peuvent convenir plus ou moins à chacune des diverses hypothèses.

Le monument présente une enceinte rectangulaire, longue de 23m 60 sur 17m 10 de largeur ; au centre est une partie découverte ou area ; autour règne de trois côtés un portique c d e f, large de 3m 80, et soutenu par dix-neuf colonnes de pépérin d'ordre dorique sans base, hautes de 3m 36, et dans lesquelles sont encore implantés des clous nombreux. Le petit côté sans portique d f s'appuie au mur de la grande salle, située derrière le sanctuaire du temple d'Isis ; le portique du côté opposé c e se trouve en avant de plusieurs chambres g que surmontait un étage, ainsi que l'indique un reste d'escalier existant dans la première de ces pièces, qui était une sorte d'ala. Dans ces chambres on trouva des mains d'ivoire et de verre faisant de l'index et du petit doigt un geste que les anciens regardaient comme un préservatif contre les mauvais sorts. C'est à la suite de ces chambres qu'est une sorte de vestibule h où existent deux entrées donnant, l'une sur le grand théâtre, l'autre sur le portique i k du Forum triangulaire. Toutes les colonnes sont en place, la plupart entières, quelques-unes avec leurs chapiteaux ; mais, ce qui est assez étonnant, on n'a retrouvé aucun vestige de l'entablement. Peut-être pourrait-on en conclure que, renversé par le tremblement de terre de 63, cet édifice était en reconstruction à l'époque de la catastrophe de 79. Une colonne voisine de la principale porte servait de fontaine et versait l'eau dans le caniveau qui règne tout autour de l'area. Dans cette partie découverte, en face de la porte, entre la troisième et la quatrième colonne du côté méridional, existent deux massifs carrés, deux sortes de piédestaux de hauteur et de diamètre inégaux, enrichis d'élégantes moulures. Le premier 1 n'est élevé que de 1m 20 ; il n'a de corniche que sur sa face antérieure et sa surface paraît usée par un frottement fréquent ; le second m, qui se trouve entre celui-ci et le portique, est plus large et haut de 1m 15 ; il est surmonté d'une corniche et présente à sa surface un creux carré de 0m 14 de profondeur sur 0m 55 de largeur et 0m 60 de longueur. On montait sur cette plate-forme par un escalier très étroit n'ayant que 0m 38 de largeur, placé sous le portique même, et dont les six marches, fatiguées par l'usage, ont 0m 28 de hauteur. Cet escalier est composé de trois blocs dont chacun forme deux degrés.

Ceux qui veulent voir dans cet édifice un marché pensent que le grand piédestal dut porter une statue de Mercure ; que sur l'escalier se fût tenu le crieur ou praeco chargé de vendre à l'encan les marchandises exposées sur le massif le moins élevé ; il faut avouer que cet arrangement eût été bien peu commode pour le crieur, qui, placé sur une marche très étroite, n'eût pu voir la marchandise qu'il vendait, étant séparé d'elle par la statue du dieu. La seule raison un peu spécieuse en faveur de cette opinion est tirée de l'état de dégradation des dalles qui entourent la fontaine qui, dans la supposition d'un marché, eût été d'un usage continuel.

La construction très soignée du monument serait peut-être encore un indice d'une destination plus relevée. Etait-ce donc plutôt une école, et le grand piédestal servait-il de chaire au professeur ? Mais alors quelle eût été la destination du petit ? Etait-ce, comme d'autres le prétendent, une curie isiaque, un lieu où les prêtres d'Isis auraient instruit les initiés ? Encore moins, à notre avis. D'abord, il n'existe aucune communication entre l'édifice qui nous occupe et le temple d'Isis ; puis, est-il bien supposable que, pour de mystérieuses initiations (1), on eût choisi une cour découverte, entourée de portiques peu élevés, dominée de plusieurs côtés, et séparée par de simples portes d'une des rues les plus bruyantes de la ville, et du portique le plus fréquenté, adossée enfin à un théâtre ? Reste donc l'hypothèse qu'ici fut un tribunal, et celle-ci nous semble la véritable. Le grand piédestal aurait porté le siège du juge, et la cavité ménagée à sa surface aurait empêché de tomber ce siège qui s'y serait emboîté ; le petit autel en avant aurait reçu les offrandes et les libations d'usage en l'honneur de Thémis et de Dicé, et le serment que le magistrat devait prêter au commencement de chaque audience ; les chambres auraient servi de dépôt pour les archives et les pièces de procédure, de logement au gardien, de bureaux aux scribes, actuarii, attachés au tribunal ; il n'est pas jusqu'aux clous implantés dans les colonnes qui n'eussent été employés à suspendre les tablettes portant les jugements, les annonces et autres documents dont le public devait avoir connaissance ; enfin, la fontaine eût servi à désaltérer les plaideurs et les curieux qui se pressaient dans l'enceinte du tribunal. On voit que toutes les parties de l'édifice sont expliquées d'une manière satisfaisante par l'hypothèse que nous adoptons, et nous espérons qu'il ne restera aucun doute quand nous aurons ajouté qu'une inscription, découverte dans le grand théâtre contigu, nous apprend que les deux Holconius firent bâtir à leurs frais une crypte, un théâtre et un tribunal. Nous trouvons bien le théâtre et la crypte, devons-nous chercher le tribunal ailleurs que dans l'édifice adossé aux deux autres ?


(1)  «Sans doute, lecteur studieux, votre curiosité va s'enquérir de ce qui se dit, de ce qui se fait clans ces initiations. Je le dirais s'il était permis de le dire ; vous l'apprendriez s'il était permis de l'apprendre. Mais il y aurait crime égal pour les oreilles et la langue complices de cette curiosité téméraire ; sed parem noxam contraherent aures et linguae illae temerarie curiositatis». (Apulée, Métam. XI).