Devenu grand, Dionysos plante la vigne et lui fait produire son nouveau nectar terrestre. L'inimitié d'Héra le poursuit encore ; elle le frappe de folie furieuse. Pour s'en guérir, il va consulter l'oracle de Dodone, mais un lac formé subitement lui barre le passage. Il le traverse, monté sur un âne, et en reconnaissance place cet animal au ciel, parmi les astres. C'est pendant le cours de cette fureur que les combinaisons factices des mythographes de profession le font aller en Syrie, où il visite Aphrodite et Adonis ou bien enlève celui-ci, et en Egypte chez Protée. Enfin il se rend en Phrygie, où Cybèle l'initie à ses mystères et en le purifiant le rend à la santé.
L'existence habituelle de Dionysos est le sujet d'un cycle immense de descriptions poétiques et de représentations figurées. Les orgies que l'on célèbre en son honneur, et qu'il a instituées lui-même à Thèbes et à Argos, sont la reproduction de la fête bruyante et orgiastique au milieu de laquelle il passe éternellement sa vie. Entouré des Nymphes ses nourrices, des Ménades de toute espèce, des Satyres, des Silènes, des Pans et des Centaures, en un mot de tous les êtres à la nature à demi animale qui composent son cortège ou thiase, il mène sur les sommets boisés des montagnes la bacchanale, à laquelle se joignent quelquefois les Naïades, les Nymphes Oréades, Eros et Aphrodite, Déméter ou Cybèle, toutes les divinités de la fécondité ou de la production terrestre. Partout les fleurs et les fruits naissent sur son passage. Avec son thyrse il fait jaillir du sol et des rochers des sources de vin et d'eau, dans les fleuves il fait couler le lait et le miel ; à Naxos, au moment de son union avec Ariadne, les rochers ruissellent de nectar ; à Téos une fontaine de vin jaillit au moment de sa naissance ; on raconte des miracles semblables à Andros et à Elis. C'est sur les montagnes qu'il se plaît particulièrement ; c'est là qu'il se manifeste aux femmes qui vont célébrer ses fêtes ; c'est là qu'il apparaît souvent aux pâtres et aux vignerons. De là toute une série de ses surnoms, Oreios, Orestês, Oreskios, Oreiphoitês, Ouresiphoitês, qui tous le caractérisent comme le dieu qui fréquente les montagnes. Une autre série d'épithètes, encore plus riche, a trait à la fête perpétuelle dans laquelle s'écoule son existence, Kômastês, au fracas de cette fête, Bromios, Erobromos, Briakchos, aux cris joyeux que l'on y poussait, Eriboas, Iuggiês, Iakchos, ou Euios, Eusios, Evan du cri evoe (euoi), Eleleus, de eleleu, Iobakchos de l'exclamation iô Bakche, enfin Bakchebakchos de l'invocation répétée de son nom.
Le même dieu est aussi Choreios, Choroitupos, d'après les rondes de la bacchanale, qu'il mène lui-même, Choragos, et les choeurs alternés de chant et de danse auxquels les bergers viennent quelquefois prendre part. Le moment que Dionysos préfère pour l'éclat des réjouissances auxquelles il se complaît est la nuit, l'heure même où les femmes de la Béotie et de la Phocide vont célébrer ses orgies triétériques sur le Cithéron et le Parnasse [Dionysia]. C'est pour cela qu'il est le dieu nocturne, Nuktelios, et qu'à cause des flambeaux qui éclairent ses réjouissances on l'appelle Lampter ou Purpolos.
Dans l'article Thiasus il sera parlé de la nature des différents personnages qui font le cortège habituel de Bacchus [voy. aussi Centauri, Maenades, Pan, Satyri, Silenus], ainsi que des noms qu'on leur donne quelquefois individuellement. On y traitera des représentations qui mettent en scène tous ces personnages ou montrent le dieu au milieu de son thiase. Peintres et sculpteurs, dans la Grèce et à Rome, ont cherché dans ces données, bien des fois chantées par les poètes, une des sources favorites de leurs inspirations et une mine inépuisable de sujets. Ici nous nous bornerons à placer sous les yeux du lecteur comme spécimen la composition tracée sur un vase du cabinet de Vienne.
DIONYSOS est assis sur un rocher dans les montagnes ; IMEROS, le Désir, lui présente en volant une couronne ; deux femmes, dIONê (?), et OPORA, la Saison d'automne, lui apportent des scaphées pleines de fruits ; auprès se tiennent, en se faisant pendant, deux Satyres, l'un appelé KOMOS, personnification de la joie bruyante de la fête, l'autre sans nom, jouant de la lyre. Dans le fond, sur les pentes de la montagne, sont deux groupes qui occupent les deux extrémités de la représentation ; d'un côté DINONOE, l'Ivresse qui fait tourner la tête, de qui s'approche un Satyre, de l'autre EIRENE, la Paix, qu'Euripide joint au thiase de Bacchus ; elle a près d'elle le Satyre EDUOINos, le vin doux, qui reparaît assez fréquemment sur les monuments. Nous rappellerons encore un célèbre cratère de marbre du Musée du Louvre connu sous le nom de vase Borghèse ; Bacchus jeune, debout, tenant le thyrse, s'appuie sur une Muse qui joue de la lyre ; autour d'eux se déroule la danse orgiastique de la bacchanale, au milieu de laquelle Silène, tombant d'ivresse, est soutenu par un Satyre. Les Muses, dont nous avons vu un récit faire les nourrices de Dionysos, lui sont quelquefois associées, et les Ménades musiciennes portent sur les monuments des noms de Muses, comme Terpsichore ou Thaleia [Maenades]. Notons, pour terminer ce qui se rapporte à ce sujet, que dans les scènes de bacchanales, Dionysos est toujours à pied ; on ne le montre sur un char que lorsque Ariadne l'accompagne.
Pourtant un curieux vase d'ancien style le montre dans un quadrige d'un genre tout particulier, que traînent deux Satyres et deux Ménades.
Dionysos promène ses orgies et son cortège par toute la Grèce et l'Asie Mineure. A ses courses errantes se rattachent aussi les nombreuses légendes relatives aux fruits de ses amours avec des Nymphes ou des mortelles, comme Sarkaios, fils de Physcoa dans l'Elide, Phlius, ou Phlias, héros éponyme de Phlionte en Argolide, fils de Chthonophylé, Carmon, fils d'Alexiroea, Télétè, fille de Nictea, Medos, l'ancêtre des Mèdes, fils d'Alphesiboea, Phanos, un des Argonautes, dont on ne désigne pas la mère. Dionysos est en effet par excellence le dieu gunaimanês, qui a la fureur des femmes, et aussi qui inspire la fureur orgiastique aux femmes, par lesquelles ses fêtes nocturnes de la Béotie et de la Phocide étaient célébrées, à l'exclusion des hommes [Dionysia]. Sous ce dernier aspect il est Orsigunaix, celui qui excite les femmes ; sous le premier, il est Choiropsalês ; nous parlerons plus loin de Dionysos comme dieu phallique [sect. IX]. Dans son thiase même, on lui donne encore pour maîtresses Méthè, l'ivresse, Charis et Irénè, la Paix.
Parmi ses visites aux mortels quelques-unes sont célèbres. En Phrygie, il se rend chez Midas pour obtenir la liberté de Silène, capturé par ce roi, et lui donne en échange la faculté de changer en or tout ce qu'il touchera. En Laconie il reçoit l'hospitalité de Dion, aime sa fille Carya et la change en noyer après sa mort. En Etolie il est accueilli par Oeneus auquel il fait don de la vigne, et prenant sa femme Althaea pour maîtresse, il la rend mère de Déjanire, suivant les uns, de Méléagre, suivant les autres. Mais la plus fameuse des visites de ce genre est celle qu'il fait en Attique chez Icarios. C'est sous le règne de Pandion que cet événement est placé. Icarios, le type héroïque du cultivateur athénien, a pour épouse Phanothéa, à laquelle on attribue l'invention du vers hexamètre, et pour fille Erigone. Il reçoit Dionysos dans sa demeure, et l'entrée du dieu, escorté de Silène, de Satyres et de Ménades, dans la salle du festin où l'attendent Icarios et Phanothéa, est représentée par un bas-relief dont il existe plusieurs répétitions.
En récompense de son hospitalité, le dieu gratifie Icarios du vin, mais lui recommande de tenir ce trésor caché sous terre, de peur des malheurs qui pourraient en survenir. Mais cette précaution est négligée, des bergers trouvent le vin mal caché, s'en enivrent, tuent Icarios et jettent son cadavre dans la source Anygros, qu'ils comblent de pierres. Erigone désespérée devient l'errante (alêtis), et cherche partout le corps de son père, avec sa chienne Maera. Elle trouve enfin le tombeau d'Icarios dans l'Hymette et se pend à l'arbre au pied duquel il a été enseveli. Dionysos, ou suivant d'autres Zeus, à sa prière, transporte dans le ciel, au rang des constellations, tous les personnages de cette histoire de deuil, Icarios comme Bootès ou Arcturus, Erigone comme la Vierge, et la chienne Maera comme l'étoile de Sirius. La mémoire d'Erigone était fêtée par la cérémonie de l'Aiora, et l'on disait que le jeu de l'Askolia avait été inventé par Icarios. On prétendait montrer dans le dême d'Icaria la première vigne, plantée par le héros éponyme sur les indications de Dionysos. Êrigonê, celle qui naît au printemps, est la vigne elle-même qui s'attache et se suspend aux arbres ; sa mort est pareille à celle du jeune et beau Melos, la pomme, qui dans les fables de Cypre donnait son nom à l'arbre auquel il se pendait. La chienne Maera est le chien céleste, Sirius, qui se montre au moment où mûrit le raisin ; aussi le chien joue-t-il également un rôle dans la légende locrienne du roi Orestheus. Celui-ci enfouit en terre un morceau de bois qu'une de ses chiennes a mis bas, et au printemps, il en voit sortir une vigne.
Article de F. Lenormant