A côté des symboles naturels que nous venons de passer en revue, il faut placer les attributs et les insignes de Dionysos façonnés par le travail et l'industrie humaine. Le premier est le thyrse (thursos) dont on étudiera les principales variétés de formes dans un article spécial [Thyrsus] ; il se compose essentiellement d'une longue haste, originairement une tige de férule, garnie au sommet d'une bandelette nouée et terminée par une pomme de pin ou par une sorte de faisceau de lierre ou de pampres, quelquefois des deux ensemble ; ce faisceau de lierre se combine aussi avec la pomme de pin qui le surmonte. C'est le sceptre le plus ordinaire de Bacchus ; c'est aussi l'arme avec laquelle il combat. Tous les personnages de son thiase le portent comme lui et l'agitent dans leur ivresse ; ils s'en servent victorieusement à l'exemple du dieu dans ses guerres. A la place du thyrse, que les pâtres des montagnes et tous ceux qui fréquentaient les orgies nocturnes de Dionysos fabriquaient en un instant avec une branche d'arbre et des pampres ou des lierres enlacés, on portait aussi dans les fêtes dionysiaques des rameaux garnis de leurs feuillages et tressés avec des branches de vigne et de lierre ; c'est ce qu'on appelait skiades. Le Bacchos, qui avait dû d'abord appartenir au culte de Dionysos, était à l'origine quelque chose d'analogue. Les jeunes arbres déracinés en entier que portent quelquefois les Centaures peuvent donner une idée de ceux qui figuraient dans les dendrophoriae bachiques.
Le thyrse est censé souvent cacher un fer de lance sous les feuillages [sect. VI]. Sur un bas-relief du Vatican la pointe de ce fer apparaît; c'est proprement ce qu'on appelait thursologchos. Ailleurs le thyrse se termine, en souvenir de cette disposition, par une feuille lancéolée, au lieu d'une pomme de pin. En outre, Dionysos peut porter la lance elle-même, comme Doratophoros ou Enyalios, et c'est ainsi, avec un petit paquet de feuilles au-dessous du fer de la lance, qu'il est figuré dans l'idole devant laquelle on voit les débris d'un sacrifice dans une peinture de Pompéi.
Une autre arme de Dionysos est la bipenne, bouplêx, que Simonide appelait Diônusoio anaktos bouphonon theraponta. Sur les monnaies de Ténédos, dont cette hache est le type, par allusion au sacrifice qu'on y célébrait annuellement en l'honneur de Dionysos, elle figure d'ordinaire accompagnée de grappes de raisin. |
Les flambeaux des orgies nocturnes, qui valaient à Dionysos une riche série d'épithètes signalées plus haut [sect. IX], sont portés à chaque instant près de lui par les différents personnages de son thiase et figurent parmi les attributs bachiques groupés sur d'assez nombreux monuments. Cependant le Dionysos de Thèbes et de Naxos ne porte pas lui-même le flambeau à la main sur les monuments comme l'Iacchus d'Eleusis, si ce n'est dans quelques représentations exceptionnelles, et encore dans ce cas c'est presque toujours une arme avec laquelle il combat ou va combattre. Mais chez les poètes la flamme qui brille la nuit au sommet du Parnasse est celle des flambeaux que Dionysos tient dans ses deux mains quand il conduit la danse des Thyades. Chez Euripide, un feu divin couronne la férule qu'il brandit en guise de thyrse.
Le vase à boire est aussi naturellement et aussi nécessairement aux mains de Dionysos que le bouclier au bras d'Arès. Aussi, depuis le coffre de Cypsélus sur lequel cette circonstance est signalée, les représentations de toutes les époques et de tous les types lui font-elles tenir un Cantharus ou un Carchesium, d'où il verse quelquefois le vin à terre ou bien une corne à boire, Rhiton ou Keras, qui se transforme quelquefois en corne d'abondance [Cornucopia], enfin un vaste et profond Scyphus, comme celui d'Hercule [Hercules]. Ces différents vases à boire, avec en plus le Prochoos, sont très fréquemment aussi aux mains des suivants du dieu ou épars à terre à ses pieds. Ils figurent encore dans les réunions de symboles bachiques qu'offrent fréquemment certaines frises monumentales des peintures murales et les décorations de vases de marbre, de métal et de matières précieuses. Dans ces groupes de symboles ils sont réunis aux vases à contenir le vin, tels que l'amphore et le cratère, qui ne manquaient à aucune des fêtes de Dionysos, et souvent aussi à l'outre en peau de chèvre. Des Satyres portent aussi fréquemment l'amphore et le cratère dans le cortège du dieu.
On voit dans une peinture qui décorait une maison de Pompéi, le canthare réuni au van et au thyrse, à côté un bouc et un tambourin.
Les instruments de musique, au son desquels on exécute les danses orgiastiques, jonchent souvent le sol auprès des figures de Dionysos et tiennent surtout une grande place parmi les groupes d'attributs de son culte dont nous venons de parler. Ils y sont les symboles de ce fracas joyeux qui ne doit jamais cesser un seul instant autour du dieu et auquel on attachait l'idée du mouvement perpétuel de renouvellement et de rajeunissement qui ne s'arrête jamais dans la nature.
Avant tout on remarque parmi ces instruments les flûtes de diverses espèces, et la syrinx de Pan, puis les cymbales et le tambourin [Tympanum] empruntés aux usages des religions de l'Asie Mineure, enfin les clochettes que dans quelques représentations le dieu agite lui-même et qui garnissent aussi le vêtement de dessus de certains Bacchants. |
La lyre ne figure pas dans ces groupements d'attributs dionysiaques. En revanche, les masques tragiques, comiques et satyriques des types les plus variés y tiennent une large place, rappelant que Dionysos est le dieu de la scène. On eu voit un grand nombre sur la célèbre Coupe des Ptolémées ; la coupe d'argent de Bologne les montre reposant sur des autels ; ils forment la décoration de plusieurs très beaux cratères de marbre. Les masques, à titre d'Oscilla, jouaient un rôle dans certains rites bachiques.
Aux concours choragiques des grandes Dionysies d'Athènes, le prix était un trépied [Choregia, Dionysia, Tripus] , attribut emprunté au culte d'Apollon. Un vase peint montre ce trépied élevé sur un soubassement auprès duquel se tient assis Dionysos barbu, couronné de laurier, tenant un sceptre surmonté d'un groupe de feuilles et ayant derrière lui Hora debout, munie du thyrse. Une Victoire pare le trépied et une autre amène le taureau pour le sacrifier ; derrière celle-ci se tient Dithyrambos nu, portant le thyrse. Sur quelques autres monuments, le trépied choragique est placé près de Dionysos.
Les cistes [Cista], corbeilles rondes à couvercle (plenae tacita formidine) d'où l'on voit s'échapper le serpent, se rattachent au culte sabazien de l'Asie Mineure sur les monnaies d'argent de cette contrée appelées Cistophori. Sur les autres monuments grecs, et surtout romains, la présence de la ciste implique une signification mystique ; aussi figure-t-elle presque toujours dans les sujets dionysiaques des sarcophages de l'époque romaine.
Nous avons parlé du van, liknon, de son rôle comme berceau de Dionysos enfant et du sens qu'on y attachait comme symbole de purification. Ce sens se rattache aux idées mystiques ; pourtant le van n'est pas nécessairement toujours en rapport avec les mystères. Il figure quelquefois parmi les attributs dionysiaques ordinaires. On le voit rempli de fruits de toute espèce dans les représentations de sacrifices agrestes à Dionysos.
Souvent le phallus se dresse au milieu des fruits, mais dans ce cas l'intention mystique de la scène paraît toujours marquée.
La Scaphê remplie de fruits qu'Opora présente à Dionysos sur un certain nombre de monuments, apparaît aussi comme un symbole de son culte. Enfin la klinê du banquet ou le lit nuptial préparé pour recevoir Dionysos et Ariadne, se montre sur un vase peint comme un emblème auguste, que gardent deux Satyres, avec un prêtre et une prêtresse.
Article de F. Lenormant