[VIII. Exécution des complices de Catilina]

Chapitre 7 Sommaire Chapitre 9

Le lendemain, jour des nones de décembre, le sénat devait prononcer sur le sort des prisonniers ; ce fut encore dans le temple de la Concorde qu'il se réunit ; mais les pères conscrits étaient moins nombreux que la veille, et l'on remarquait dans l'assemblée l'absence de plusieurs personnages considérables (1). Quelques-uns peut-être étaient retenus par la crainte de révélations compromettantes ; d'autres, tels que Crassus (2), irrités contre Cicéron, refusaient hautement de prendre part à ce qu'ils appelaient déjà des actes de tyrannie : la plupart répugnaient à siéger comme juges dans un procès où, l'on allait prononcer sur le sort de citoyens illustres alliés à de grandes maisons patriciennes.

Le consul n'avait négligé d'ailleurs aucune précaution pour rassurer contre toute tentative factieuse les sénateurs qui s'étaient rendus à leur poste. Une troupe nombreuse de jeunes chevaliers en armes gardait les abords du temple, sous la conduite de quelques amis dévoués de Cicéron (3). De fortes patrouilles parcourant les rues, le Capitole et les principaux édifices publics occupés par des soldats, le serment militaire exigé dès la veille de tous les citoyens (4), qui transformait pour ainsi dire la ville en un camp, tous ces préparatifs, s'ils révélaient la grandeur du péril, annonçaient aussi de la part du gouvernement l'intention de faire respecter ses décrets, quels qu'ils fussent.

Il n'est peut-être pas inutile de rappeler ici suivant quelle forme avaient lieu les délibérations du sénat. Le président de l'assemblée, c'est-à-dire celui qui l'avait convoquée (c'était un des consuls, ou, en leur absence, un préteur), nommait successivement chaque sénateur inscrit sur l'album, et lui demandait son sentiment sur la question à l'ordre du jour. Chacun devait répondre à l'appel de son nom et donner son avis à haute voix ; les uns motivaient leur opinion dans un discours, les autres se bornaient à déclarer qu'ils votaient conformément à l'avis de tel ou tel orateur interrogé avant eux. Le plus souvent même on faisait connaître son vote en se plaçant à côté du sénateur dont on approuvait les conclusions. Vers la fin de la discussion, le consul, pour savoir de quel côté se trouvait la majorité, ordonnait aux sénateurs de se former en groupes autour des auteurs des différentes propositions (5). L'usage était d'interroger d'abord, soit le prince du sénat, soit un des consuls désignés, ensuite les consulaires, les préteurs et les magistrats en fonctions ou désignés ; cependant le président avait le droit d'intervertir à son gré l'ordre de l'appel (6) ; il pouvait aussi prendre la parole au milieu de la délibération.

Après avoir exposé qu'il s'agissait de statuer sur la punition qu'on devait infliger aux coupables, Cicéron se tourna vers Silanus, le premier des consuls désignés, et l'interrogea en lui disant, suivant la forme consacrée : «Parle, Decimus Junius». Silanus opina en peu de mots. Au milieu d'un profond silence, il déclara que les accusés méritaient la dernière peine (7). Le mot de mort, surtout appliqué à un citoyen romain, causait une horreur involontaire (8), et à la faveur de son euphémisme, Silanus parut d'abord entraîner tous les suffrages. Autour de lui rangèrent son collègue désigné L. Murena, puis les consulaires Catulus, Servilius Isauricus, L. et M. Lucullus, C. Curion, L. Torquatus, M. Lépidus, L. Gellius, Volcatius Tullus, Marcius Figulus, L. Cotta, L. César, C. Pison et M. Acilius Glabrion (9), la plupart amis politiques de Cicéron et dévoués aux intérêts du parti oligarchique. Le vote de L. César, bien qu'il l'eût en quelque sorte annoncé deux jours auparavant (10), produisit une forte sensation, car on supposait qu'il obéissait comme de coutume aux inspirations de son parent, le fameux C. César, dont personne ne connaissait encore le sentiment. Tous les regards étaient fixés sur lui, lorsque, interrogé à son rang comme préteur, il se leva et prit la parole.

Son discours est rapporté par Salluste. Si l'on se rappelle que ses sténographes avaient été chargés par Cicéron de tenir note de tous les incidents de ce procès mémorable (11), on peut croire que l'opinion de César nous a été textuellement conservée. Chacun peut le remarquer en effet, non seulement le style de ce discours diffère notablement de celui de l'historien, mais encore le désordre et les répétitions qu'on y rencontre portent tout le caractère d'une improvisation. Il est d'ailleurs improbable que Salluste, créature de César, eût osé falsifier les paroles d'un homme qui avait la réputation d'orateur, surtout à une époque où bien des copies de ce discours existaient dans le public, et lorsque vivaient encore tant de sénateurs qui l'avaient entendu prononcer (12).

«Pères conscrits, dit César, ceux qui délibèrent sur des questions difficiles doivent être exempts de haine, d'affection, de colère, de pitié. Il est malaisé de découvrir la vérité lorsque ces sentiments viennent nous distraire, et personne n'a obéi en même temps à sa passion et à son intérêt. Que votre esprit soit libre, il aura toute sa force ; si la passion le possède, il sera sans force. J'aurais ici une belle occasion, pères conscrits, de vous rappeler les fautes de tant de rois et de tant de peuples, qui se sont laissé entraîner à la colère ou à la pitié, mais j'aime mieux vous dire ce que nos ancêtres ont fait à bon droit en résistant à la passion. Lors de la guerre de Macédoine que nous eûmes contre le roi Persée, la république des Rhodiens, puissante et capable de grandes choses, qui, grâce à nous, s'était accrue et enrichie, nous fut infidèle et se tourna contre nous (13). Après la guerre on délibéra sur cette république. Eh bien ! nos ancêtres craignirent qu'on ne les accusât de faire la guerre aux Rhodiens plutôt pour leurs richesses que pour leurs torts envers Rome. Ils leur pardonnèrent. Même conduite dans toutes les guerres puniques. Les Carthaginois, pendant la paix, pendant les trêves, avaient commis d'horribles excès. Jamais nos ancêtres ne les imitèrent, pouvant se venger, car ils cherchaient plutôt ce qui était digne d'eux que ce que permettait le droit de la guerre.

Suivez leur exemple, pères conscrits, et gardez qu'auprès de vous le crime de P. Lentulus et des autres ne vous fasse oublier ce que vous vous devez à vous-mêmes. Songez moins à vos injures qu'à votre gloire. Pour moi, si quelqu'un trouve une peine proportionnée à leur crime, je me range à son avis. Si la grandeur du forfait défie l'invention d'un supplice, j'estime que nous devons leur appliquer nos lois. La plupart des orateurs qui ont parlé avant moi se sont apitoyés avec beaucoup d'art et d'éloquence sur la triste situation de la république. Ils vous ont dit la cruauté de nos ennemis ; ils ont énuméré tous les maux réservés aux vaincus ; les vierges, les enfants déshonorés, les fils arrachés aux bras d'un père, de nos matrones abandonnées à la brutalité des vainqueurs, les temples, les maisons au pillage, le meurtre, l'incendie, enfin, partout du fer, des cadavres, du sang, des larmes... Mais, par les dieux immortels ! pourquoi ce hideux tableau ? Veulent-ils vous animer contre la conjuration ? Eh quoi ! espèrent-ils que celui que n'a pas ému un si grand attentat se laissera enflammer à des paroles ? Non, non. Nul ne regarde d'un oeil indifférent les maux qui lui sont personnels. La plupart des hommes ne les sentent que trop vivement. Mais tout n'est pas permis à tout le monde, pères conscrits. Les hommes de peu, si la colère les pousse à quelque violence, à peine le sait-on. Ils s'agitent dans une sphère étroite comme leur fortune. Ceux qui dominent, revêtus d'un grand pouvoir, pas une de leurs actions n'est ignorée de tous les mortels. Ainsi, au rang le plus élevé les obligations les plus sévères. Là il ne faut ni partialité, ni haine, ni colère surtout, car ce qui passerait ailleurs pour emportement, dans le pouvoir, c'est de la tyrannie, de la cruauté.

Pour moi, pères conscrits, il n'y a pas de tourments qui ne me paraissent trop doux pour ces hommes. Mais, vous le savez, la plupart ne conservent des événements que les dernières impressions. Des grands coupables on oublie bientôt le crime, on ne parle que de leur supplice, s'il a été quelque peu sévère.

Certes, D. Silanus a parlé en homme de bien et en bon citoyen. L'intérêt de la république a dicté ses paroles, je le sais. Dans des circonstances si graves, il est demeuré inaccessible à la faveur et à la vengeance. Mais, je l'avoue, son avis me parait, je ne dirai pas cruel, car qui pourrait être cruel pour de tels hommes ? mais étranger à nos moeurs et à nos précédents. Oui, Silanus, c'est le danger de la patrie ou bien l'indignation qui t'a emporté, lorsque toi, consul désigné, tu viens conclure à une peine nouvelle. Du danger, il est inutile de vous en entretenir, lorsque, par les soins de notre illustre consul, nous voyons tant de troupes sous les armes. Au sujet de la peine, je dirai les choses telles qu'elles sont. Dans le désespoir et le malheur, qu'est-ce que la mort ? La fin des souffrances, et non un châtiment. Avec elle finissent les maux de l'humanité ; au delà il n'y a pas plus de soucis que de plaisirs. Mais, de par tous les dieux, Silanus, pourquoi n'as-tu pas ajouté à ta sentence que les coupables seraient battus de verges ? Est-ce parce que la loi Porcia le défend ? Mais il y a d'autres lois qui permettent au citoyen de racheter sa vie par l'exil. Est-ce parce que c'est chose plus grave de battre de verges un homme que de le mettre à mort ? Mais qu'y a-t-il de trop grave et de trop rigoureux contre des hommes convaincus d'un si grand crime ? Est-ce parce que les verges sont une peine trop légère ? Pourquoi donc observes-tu la loi sur un point de peu d'importance (14), lorsque tu en oublies les dispositions les plus essentielles (15) ? Mais, dira-t-on, qui oserait blâmer la sentence que l'on va rendre contre ces fils parricides de la république ? Qui ? - Le temps, l'occasion, la fortune, dont le caprice gouverne le monde. - Leur sort, quel qu'il soit , ces hommes l'ont mérité. Mais vous, pères conscrits, considérez que vous allez ordonner, non point d'eux, mais de l'avenir. Tous abus sont nés de bons commencements. Mais que le pouvoir tombe à des mains moins habiles ou moins pures, le précédent introduit par vous avec justice et raison, sera peut-être appliqué injustement, impolitiquement. Les Lacédémoniens, après avoir vaincu Athènes, lui imposèrent un conseil de trente membres qui devait administrer la chose publique. Ce conseil s'en prit d'abord à des misérables, odieux à tout le monde, et les fit mourir sans forme de procès. Et le peuple de se réjouir et de dire que c'était à bon droit. Bientôt les trente s'abandonnèrent à l'orgueil du pouvoir. Ils firent tuer sans distinction bons et méchants pour effrayer le reste. Aussi, Athènes expia-t-elle sa joie insensée par une dure servitude. De nos jours, lorsque Sylla victorieux fit couper la gorge à Damasippus (16) et à quelques autres scélérats devenus puissants parmi les malheurs de la république, qui d'abord ne loua cette vengeance ? On disait que justice était faite d'hommes pervers et factieux qui avaient affligé la république par tant de séditions. Mais ce coup fut le prélude d'une immense calamité. Car bientôt il suffit d'avoir une maison, une terre, que dis-je ? un vase ou un vêtement qui excitât la convoitise de quelque misérable, pour qu'il vous fît mettre sur les tables de proscription. Ainsi, ceux qui avaient applaudi à la mort de Damasippus furent promptement après lui traînés à la boucherie, et les massacres ne cessèrent que lorsque Sylla eut gorgé de richesses tous les siens. Sans doute, avec un consul tel que M. Tullius, dans un temps comme le nôtre, je ne crains pas le retour de pareils excès ; mais dans un grand Etat il se trouve bien des génies différents. Dans un autre temps, avec un autre consul, qui disposerait d'une armée, le faux pourrait passer pour vrai. Une fois que, s'autorisant de l'exemple introduit par vous, ce consul, que je suppose, surprendrait un décret du sénat et tirerait le glaive, qui pourrait lui poser dis limites ? qui pourrait le retenir ?

Nos ancêtres, pères conscrits, n'ont jamais manqué d'énergie ni de courage. Jamais l'orgueil ne les a empêchés d'imiter les institutions étrangères lorsqu'elles étaient bonnes. Vous savez que nos armes offensives et défensives, ils les ont empruntées aux Samnites, la plupart des insignes de nos magistrats aux Etrusques. En un mot, tout ce qui, chez nos alliés ou chez nos ennemis leur parut utile fut adopté par eux avec un empressement extrême ; car nos pères imitaient les bons exemples au lieu de jalouser ceux qui les leur donnaient. C'est pourquoi, imitant les usages de la Grèce, ils punirent certains délits par les verges, ils instituèrent le dernier supplice pour de grands coupables. Lorsque la république s'agrandit, et qu'en s'accroissant elle se divisa en partis distincts, l'innocence fut plus d'une fois surprise et plus d'un abus se manifesta. Alors on y pourvut par la loi Porcia et d'autres encore qui ouvrirent pour les condamnés la voie de l'exil.

Dans l'affaire qui nous occupe, pères conscrits, je crois de la dernière importance de ne pas introduire un exemple nouveau. Sans doute, la vertu et la sagesse furent plus grandes chez nos pères, qui ont élevé cet immense empire avec de faibles moyens, que chez nous, qui avons à peine la force de retenir ce qu'ils ont bien acquis.

Conclurai-je à ce qu'on mette en liberté les coupables et qu'on les envoie grossir l'armée de Catilina ? Nullement. Voici mon avis : que leurs biens soient confisqués ; que leurs personnes soient retenues dans des municipes fortifiés ; qu'à l'avenir nul ne puisse en référer au sénat ou se présenter devant le peuple pour demander leur réhabilitation, à peine d'être déclaré par le sénat ennemi de la république et du salut commun (17)».

Ce n'est pas un spectacle nouveau dans un temps de révolution, que de voir les hommes qui méditent le renversement des lois s'en proclamer les défenseurs, lorsque le pouvoir paraît disposé à les enfreindre ; mais le sénat n'attendait pas sans doute de César une argumentation si mesurée, si pressante, un raisonnement en apparence si impartial. Plus d'un vieux consulaire rougit en entendant le jeune préteur désigné parler le langage d'un Fabius, et rappeler ses égaux et ses supérieurs au calme et à la modération qu'ils étaient chargés de faire régner dans la curie. Presque indifférent par sa position politique au débat qui s'agitait devant lui, César, à l'exemple de Crassus, aurait pu s'abstenir de prendre part à cette délibération, et attendre du temps une occasion pour profiter des fautes de ses adversaires. Mais, d'abord, il savait qu'il était soupçonné et il voulait protester publiquement de son respect pour les lois. En outre, le rôle que Catilina venait d'afficher par son manifeste, César le jouait depuis longtemps avec moins de risque et plus d'habileté. Il s'était déclaré, dès son entrée aux affaires, le protecteur des malheureux et des opprimés, et pour les défendre il n'avait pas besoin de tirer le glaive. Le temps n'était point encore venu de faire une guerre ouverte au sénat, et César ne voulut jamais livrer bataille que lorsqu'il était sûr de la victoire. Aujourd'hui donc, il avait à louvoyer entre plusieurs écueils dangereux. Devant le sénat il fallait se justifier, et se séparer nettement de la conjuration. En même temps il savait que dans cette populace romaine, qu'il considérait déjà comme l'instrument nécessaire à ses grands desseins, bien des sympathies étaient acquises à ces hommes dont le sort allait se décider. Les défendre après leurs aveux étaient une entreprise imposible ; leur sauver la vie, c'était bien mériter du peuple et humilier profondément l'oligarchie. En prononçant contre les accusés une sentence rigoureuse, il ôtait à ses adversaires dans le sénat le moyen de le compromettre lui-même ; il se lavait du soupçon de complicité ; pour le peuple, il en faisait assez s'il obtenait que la peine de mort fût commuée, et le châtiment qu'il proposait ne devait passer que pour un moyen d'arriver à ce résultat. Que s'il ne pouvait prévenir une condamnation capitale, du moins il la dénonçait d'avance à l'opinion publique, assuré que sa popularité et sa puissance s'augmenteraient de toutes les haines que ce coup d'autorité allait soulever contre le sénat. Il resserrait ses adversaires entre deux précipices, dont, avec une joie maligne, il leur faisait mesurer toute la profondeur. Placé entre la nécessité d'enfreindre les lois, ou bien de proclamer son impuissance devant un complot audacieux, le sénat n'avait que le choix entre deux abîmes, et quel que fût ce choix, il devait être utile à son ennemi. Il est d'ailleurs permis de croire que dans cette circonstance César n'obéit point seulement aux calculs de sa politique ; ses liaisons anciennes avec quelques-uns des accusés, sa générosité et sa douceur tant célèbres, la faiblesse même, presque féminine, de son naturel, l'engageaient encore, je pense, à faire un effort pour sauver des hommes que, dans son indifférence pour le bien et le mal, il considérait non comme des criminels, mais plutôt comme des insensés. Toujours favorisé par la fortune, César, dans cette occasion, de même que dans mainte autre de sa vie, trouva ses penchants d'accord avec les intérêts de son ambition.

Une agitation extraordinaire suivit le discours que nous venons de traduire. Une partie de l'assemblée l'accueillit par ses applaudissements, le reste parut frappé de terreur. Déjà tous les esprits timides que la fermeté du consul avait animés peu auparavant d'une énergie factice entrevoyaient les dangers qui se préparaient pour eux dans un avenir peu éloigné. César offrait à leur faiblesse une excuse honorable, car il la cachait sous le masque du respect pour les lois. Le premier, Silanus, troublé par les interpellations personnelles de César, et peut-être dominé par un ascendant secret, déclara en balbutiant que l'on avait mal interprété son opinion, car, s'il demandait la dernière peine contre les accusés, ce n'était pas à la mort qu'il voulait les condamner, l'exil étant à son sentiment la dernière peine pour un sénateur (18). Bien que cette étrange rétractation ne trompât personne, elle fut aussitôt adoptée par la plupart de ceux qui s'étaient rangés d'abord au sentiment de Silanus. En vain Catulus essaya-t-il de ranimer les esprits en rappelant la grandeur du péril qui menaçait la république, le découragement s'était emparé du parti oligarchique, et il fut porté à son comble lorsqu'on vit Q. Cicéron, le frère du consul, passer du côté de César et adhérer à son opinion (19). Les véritables amis du consul, disait-on tout bas, devaient s'y réunir ; c'était le seul moyen de le sauver des vengeances terribles qu'allait lui préparer l'excès de son zèle pour le bien de l'Etat.

Au milieu de la consternation de ses partisans, Cicéron interrompit la délibération et prit la parole sous prétexte de résumer les débats, mais en réalité pour tenter si, plus heureux que Calulus, il ne parviendrait pas à rallier ses amis prêts à l'abandonner. La responsabilité qui devait peser sur les juges de Lentulus étant le principal motif pour entraîner le sénat à l'opinion de César, c'est cet argument que Cicéron s'efforce de combattre d'abord. Il semble accepter pour lui seul cette responsabilité si terrible, il se dévoue pour tous ; mais cependant il montre à ses timides collègues qu'ils se sont déjà compromis, et qu'un pas en arrière les couvrirait de honte sans les sauver. «Je vois, pères conscrits, dit-il, tous les yeux tournés vers moi. Je vous vois préoccupés non seulement du danger de la république, mais encore de ceux qui me menacent moi-même. Dans un si funeste moment, cet intérêt m'est bien doux sans doute ; mais, par les dieux immortels ! oubliez-moi, ne pensez qu'à vous et à vos enfants. Si votre consul, par une espèce de fatalité, doit être condamné à toutes les douleurs, à toutes les tortures, n'en doutez pas, il saura les supporter avec courage, avec joie même, pourvu que son sacrifice conserve au peuple romain l'honneur et la liberté... Pourquoi craindrais-je la mort ? peut-elle être honteuse pour un homme d'honneur ? prématurée pour un consulaire (20) ? affligeante pour un philosophe ? Je n'ai point cependant un coeur de fer (21), pour demeurer insensible à la douleur d'un frère chéri, aux larmes de tous ces amis qui m'entourent (22). Mon esprit me montre dans ma maison ma femme et ma fille en proie aux angoisses de la terreur, et mon fils, enfant, tendre otage de mon consulat auprès de la république. J'aperçois d'ici mon gendre (23) attendant avec anxiété l'issue de cette journée. Tant d'objets si chers m'émeuvent sans doute, mais ils m'excitent aussi à les sauver avec vous, dussé-je périr, seule victime pour le salut commun. Donc, pères conscrits, la fortune de la république est entre vos mains. Vous voyez la tempête qui la menace. Vous n'avez point à vous prononcer sur l'attentat d'un Tib. Gracchus, qui voulut être deux fois tribun ; d'un C. Gracchus, qui effrayait les possesseurs du domaine public ; d'un L. Saturninus, qui assassina son adversaire politique (24). Vous tenez prisonniers ces hommes qui sont demeurés à Rome pour l'incendier, pour vous égorger tous, pour ouvrir nos portes à Catilina. Leurs lettres, leurs sceaux sont dans vos mains ; vous avez reconnu leurs écritures, vous avez entendu leurs aveux. Ils appellent les Allobroges, ils veulent soulever les esclaves, ils tendent les bras à Catilina. Les témoins vous le disent, les accusés le confessent. Vous-mêmes, vous avez déjà plusieurs fois exprimé votre conviction d'une manière solennelle ; d'abord lorsque vous m'avez voté en termes exprès des remercîments publics pour avoir découvert une conjuration exécrable ; - puis lorsque vous avez contraint P. Lentulus à se démettre de la préture ; - lorsque vous l'avez mis, lui et ses complices, en état d'arrestation ; - lorsque vous avez décrété des actions de grâce publiques en mon nom, honneur qu'aucun magistrat n'avait encore obtenu que sur le champ de bataille ; enfin, hier même, lorsque vous avez décerné une récompense publique à Volturcius et aux députés des Allobroges (25)».

Après avoir établi de la sorte d'une manière détournée les engagements, et, si l'on peut s'exprimer ainsi, la solidarité du sénat, le consul passe à l'examen des deux avis en délibération. Sans se prononcer ouvertement, sans attaquer de front la proposition de César, il s'attache à en faire ressortir tous les inconvénients, montrant à la fois qu'elle n'a que l'apparence de la douceur, et qu'elle serait pour le sénat un aveu de faiblesse plus dangereux que la sévérité même.

«Deux opinions vous ont été soumises : l'une, celle de D. Silanus, qui a proposé de punir de mort ces grands coupables ; l'autre, celle de C. César, qui, écartant la peine de mort, accumule contre eux toutes les rigueurs des autres châtiments. L'un et l'autre ont parlé comme il convenait à leur haute position, à la gravité des circonstances. Celui-ci pense qu'on aurait tort de laisser vivre un moment des hommes qui ont médité notre mort, qui ont voulu détruire la république et anéantir le nom romain. A de tels coupables il pense qu'on doit appliquer une peine dont plusieurs fois déjà dans cette république on a châtié les mauvais citoyens. - Celui-là pense que les dieux immortels n'ont pas voulu que la mort fût un supplice ; suivant lui, c'est une loi de nature ; c'est le terme de toutes les misères, le repos final. La prison, la prison perpétuelle lui semble inventée tout exprès pour punir un crime abominable. Il veut qu'on distribue les coupables dans des mnicipes. Mais y a-t-il bien songé ? Dans l'exécution de la sentence je vois ou une injustice ou de grandes difficultés.

En effet, contraindra-t-on les municipes à encourir la grave responsabilité attachée àla garde de ces ennemis publics ? Demandera-t-on le consentement des autorités locales, et s'exposera-t-on à un refus (26) ? Quelle que soit votre décision, pères conscrits, j'espère que je pourrai la faire exécuter. Mais je continue l'examen de la sentence proposée par César. Il ajoute des peines rigoureuses contre les magistrats des villes qui briseraient les fers des prisonniers ; leur détention doit être accompagnée de rigueurs effrayantes ; enfin, pour ces hommes affreux, il propose une sentence digne de leur crime. Il interdit de jamais demander au sénat ou au peuple un adoucissement à leur peine ; il leur ôte jusqu'à l'espérance, cette dernière consolation dans les misères de l'humanité ; leurs biens, il les confisque ; la vie, c'est là tout ce qu'il leur laisse, persuadé sans doute qu'en la leur ôtant il les délivrerait de toutes les souffrances de l'âme et du corps. Il ne veut pas qu'une seule douleur termine la peine due à leurs forfaits. Nos ancêtres, pour inspirer aux méchants une terreur salutaire, leur montraient dans les enfers les châtiments réservés aux crimes, car ils croyaient que, sans ce terrible avenir, la mort n'avait en soi rien qui pût nous effrayer (27). Choisissez, pères conscrits, entre les deux opinions. Si vous adoptez elle de C. César, comme la ligne politique qu'il suit est celle qu'on appelle populaire, peut-être pour faire exécuter un décret dicté par lui, aurai-je moins à craindre les mouvements populaires (28). Si le sentiment de Silanus vous semble préférable, je ne crois pas que votre sentence me donne plus d'affaires. Au reste, mes dangers personnels ne doivent pas être mis en balance avec l'utilité publique. L'opinion de César ne dément point sa haute position, ni le sang illustre dont il sort. Elle nous est un gage de son dévouement constant à la république. Il nous a montré la différence qu'on doit faire entre la légèreté des harangueurs et une politique vraiment populaire, je veux dire uniquement dévouée au salut du peuple. De ces hommes qui se disent populaires aussi, plusieurs sont absents aujourd'hui, comme il me semble, sans doute parce qu'ils se font un scrupule de délibérer lorsqu'il s'agit de la tête de citoyens romains. Mais hier ils ordonnaient l'arrestation de citoyens romains, ils décrétaient des supplications solennelles en mon honneur, ils accordaient de grandes récompenses aux dénonciateurs. Peut-on douter de ce que pensent sur toute l'affaire ceux qui ont voté la prison pour l'accusé, des actions de grâce au magistrat, des récompenses au dénonciateur (29) ?

Sans doute César n'ignore pas que la loi Sempronia concerne les citoyens romains ; mais il sait aussi que l'ennemi public n'est plus un citoyen (30). Il n'a pas oublié sans doute que l'auteur même de cette loi fut châtié par l'ordre du peuple (31) pour attentat contre la république. Non, César n'invoquera pas les sympathies populaires en faveur de P. Lentulus, qui a conspiré avec tant de méchanceté la ruine et l'incendie de Rome. Aussi, malgré sa douceur et son indulgence, il n'hésite point à condamner P. Lentulus à une prison perpétuelle ; il veut qu'à l'avenir personne ne puisse chercher à se faire une renommée populaire en adoucissant sa position. Il veut que ses biens soient confisqués pour ajouter à son supplice la misère et toutes ses horreurs.

Si vous approuvez cet avis, je me présenterai au peuple sous les auspices d'un homme qui lui est cher (32) ; si vous adoptez au contraire le sentiment de Silanus, ne croyez pas qu'il me soit difficile de défendre votre arrêt, de me défendre moi-même du reproche de cruauté. Je prouverai que cette sentence est en effet la plus douce des deux, et qu'on ne peut être cruel en punissant un forfait abominable».

Je ne suivrai pas l'orateur dans la suite de ce discours, où il revient avec une nouvelle force sur le tableau des horreurs où Rone aurait été plongée si le complot n'eût point été découvert. «Que penseriez-vous, s'écrie-t-il, d'un père de famille qui trouvant sa femme et ses enfants égorgés par son esclave, sa maison brûlée, ne condamnerait pas l'assassin au supplice le plus rigoureux ? L'appelleriez-vous clément et miséricordieux ? Non, vous le diriez plutôt cruel et inhumain. Pour moi, il aurait un coeur de pierre, celui qui ne chercherait pas à soulager sa douleur et ses tourments par la douleur et les tourments du coupable (33)».

Il était important de rassurer les sénateurs sur la situation de la ville et sur les bruits répandus dès la veille, d'une tentative pour délivrer les prisonniers. Le consul rappelle les mesures de prudence adoptées par lui depuis la découverte de la conjuration ; les troupes mises sous les armes, les chevaliers en corps réunis autour du temple où siège le sénat ; tous les honnêtes gens prêts à voler au secours de la patrie. «Que l'on cesse donc de s'inquiéter, dit-il, si quelques misérables, clients de Lentulus, courent les tavernes, prêchant l'émeute à la populace et aux esclaves. Nul danger sur ce point. Les gens dont on nous menace aiment l'oisiveté d'une grande ville. Toute cette foule qui fréquente les tavernes ne sera pas pour ceux qui les veulent brûler (34).

Vous le voyez, pères conscrits, les forces du peuple romain ne vous manquent point dans le danger, vous ne manquerez point à vos devoirs envers le pays. Vous avez un consul providentiellement échappé aux embûches, aux poignards de vos ennemis. Tous les ordres de l'Etat se serrent autour de vous, oubliant pour la première fois leurs discordes devant le danger commun. Jamais vous n'avez été plus forts, jamais vous n'avez été plus en mesure de faire un exemple qui mette pour toujours un terme aux entreprises, aux pensées même, contre la république. Assiégée par les torches et les poignards d'une conjuration impie, la patrie vous tend les bras ; elle vous implore et vous adjure de la sauver, de défendre votre Capitole, vos autels domestiques, le feu de Vesta, vos temples, vos murs, vos maisons (35)».

Puis, revenant aux dangers qu'il court lui-même, aux vengeances qui le menacent dans un avenir rapproché : «La mort n'est rien, s'écrie-t-il, auprès de cette gloire unique que je dois à vos décrets». Transporté par son orgueil naïf, le consul n'hésite point à se comparer aux Scipions, à Paul-Emile, à Marius, à Pompée, dont les exploits, dit-il, n'ont eu d'autres bornes que celles que le soleil met à son cours. «Sans doute auprès de ces grands hommes la postérité me réservera une place, à moins qu'il ne soit plus grand de conquérir des provinces qui nous peuvent échapper, que de conserver à nos guerriers absents une ville où ils puissent rentrer en triomphe (36)».

La péroraison nuit un peu, ce me semble, à l'effet d'un discours qui débutait adroitement, mais l'orateur ne sait pas résister au plaisir de parler de soi, et sans s'en apercevoir il se laisse entraîner au delà du but qu'il s'est proposé. Il voulait raffermir ses collègues, les rassurer contre les suites du coup d'Etat qu'il leur conseille, et lui-même, saisi d'un attendrissement subit, il leur montre un avenir effrayant, comme s'il avait voulu ajouter par son éloquence une nouvelle force à la froide argumentation de César.

«Si mon espoir, dit-il, est trompé ; si les méchants l'emportent, pères conscrits, je vous recommande mon fils unique, à qui suffira pour héritage le souvenir que vous lui conserverez d'un père qui s'est sacrifié pour la patrie. Votre salut, celui du peuple romain, vos femmes, vos enfants, vos autels et vos foyers, votre empire, votre liberté, le salut de l'Italie, tels sont les intérêts sur lesquels vous délibérez, pères conscrits, et qui réclament ce courage dont vous venez de donner des preuves. Vous avez un consul qui ne balancera jamais à obéir à vos décrets, et qui, tant qu'il vivra, saura les faire respecter (37)».

Cicéron s'était fait illusion sur le pouvoir de son éloquence. Dans une assemblée telle que le sénat, il fallait quelque chose de plus que des phrases sonores pour entraîner des hommes habitués à calculer froidement leurs intérêts. Déjà l'on ne craignait plus ni les sicaires de Lentulus, ni les bandits de Catilina, mais le chef du parti populaire avait fait comprendre la grandeur de la responsabilité que le sénat allait encourir. Cicéron avait bien répondu aux paroles de César, mais il n'avait pas osé descendre jusqu'au fond de sa pensée. Personne n'avait voulu poser la question véritable, et chacun ne la connaissait que trop bien. Pour le sénat, il s'agissait de conserver ou d'abdiquer le pouvoir. Voulait-il maintenir l'autorité qu'il avait reçue du dictateur, il fallait appliquer aux conjurés les lois cornéliennes, c'est-à-dire les punir de mort. Mais le moment où la constitution de Sylla venait d'éprouver de si vives atteintes, où la faction populaire avait repris des forces et de l'audace, était-il bien choisi pour une sentence rigoureuse qui allait rappeler l'époque abhorrée des proscriptions ? D'un autre côté, se contenter de l'exil ou de la détention des coupables, c'était avouer publiquement sa faiblesse, c'était déchirer la constitution cornélienne et s'abandonner pour l'avenir à la merci du parti démocratique. Quant à la perpétuité de la peine proposée par César, nul n'y croyait sérieusement, et des hommes qui dans la même année avaient vu Cinna, Marius et Sylla proscrits et persécuteurs tour à tour, connaissaient trop bien la valeur des décrets éternels dans un temps de révolutions.

La crainte allait faire passer la majorité à l'opinion de César, lorsqu'un nouvel orateur vint changer toute la face de la discussion. C'était M. Porcius Caton, alors tribun du peuple désigné. Seul au milieu de la corruption universelle, il rappelait les vertus romaines du premier âge de la république ; son austérité, la rude franchise de son langage, lui avaient fait beaucoup d'ennemis, mais ceux même qu'il combattait le plus habituellement ne pouvaient lui refuser leur estime. Adversaire déclaré de toutes les innovations populaires, aussi entêté de ses préjugés oligarchiques que passionné pour la gloire et la prospérité de son pays, il n'était aimé ni du peuple ni du sénat, car la rigidité de ses principes n'admettait aucune de ces concessions, aucun de ces ménagements au prix desquels l'oligarchie se soutenait au pouvoir. Les moeurs de Caton étaient un reproche vivant aux moeurs de ses collègues, et lorsqu'il se levait pour prendre la parole, ils éprouvaient une espèce de terreur, car sa voix était comme le cri de leur conscience.

Jusqu'alors les orateurs qui avaient opiné pour la proposition de Silanus, ou pour mieux dire ceux qui avaient voté la mort des conjurés, ne s'étaient exprimés qu'avec une certaine réserve, se tenant pour ainsi dire sur la défensive. A l'exemple du consul, ils cherchaient à réduire le nombre des coupables, comme pour se dissimuler à eux-mêmes la gravité des circonstances. Les dépositaires du pouvoir se justifiaient devant l'opposition. Caton comprit que le moment était venu de changer les rôles, ou plutôt, incapable de crainte lui-même, il vit le danger où il était, et, suivant son usage, s'y précipita sans balancer. Il flétrit d'abord le changement de Silanus, qui se rétractait après avoir fait preuve un instant de courage, puis il attaqua corps à corps l'orateur qui, pour conserver sa popularité, compromettait le salut de la république. Il reprocha sévèrement à César son indulgence pour les hommes les plus criminels, et traita son feint respect pour les lois d'un calcul égoïste de politique ; il demanda même si ce n'était point une preuve de sa connivence avec les conjurés. Déjà les rumeurs répandues par Catulus et par Pison avaient eu dans Rome un long retentissement ; les moeurs de César et son ambition immodérée prêtaient un texte facile à une accusation qui, on doit l'avouer, n'était pas dénuée de vraisemblance. César fut bientôt forcé de se défendre.

Le discours de Caton, tel qu'on le lit dans Salluste, n'est sans doute exactement rapporté ni pour le fond ni pour la forme. Placé entre son respect pour son bienfaiteur et son hypocrite admiration pour Caton, ce modèle des vertus antiques, qu'il oppose sans cesse aux vices de son temps, l'historien romain ne mériterait en cette occasion que peu de confiance, alors même qu'il ne serait pas contredit par le témoignage impartial de Plutarque. Salluste se tait sur les accusations et sur les dures personnalités que César eut à subir. Le discours qu'il met dans la bouche de son héros, bien que tronqué sans doute et dépouillé de sa rudesse originelle, demeure cependant encore un monument que l'histoire ne peut négliger, et il offre plus d'un passage où l'on croit reconnaître Caton (38).

«Pères conscrits, dit-il, vous discutez froidement la peine due à ces hommes qui ont conspiré la ruine de leur patrie, la mort de leurs pères ; mais le danger présent nous avertit de nous mettre en défense contre eux, plutôt que de délibérer sur le châtiment qu'ils méritent. Poursuivez les crimes ordinaires alors qu'ils sont consommés. Attendrez-vous que ces hommes soient maîtres de la ville pour les juger ? Ce ne sont point des accusés que je vois ici, mais des ennemis dont il faut se défaire. Oui, par tous les dieux, je vous appelle aux armes, vous tous à qui vos palais, vos villas, vos statues et vos tableaux ont toujours été plus chers que la patrie. Si vous voulez conserver ces objets de votre culte, si vous tenez à ce doux repos, si nécessaire à vos voluptés, réveillez vous, il le faut, et défendez la république. Il ne s'agit pas des tributs ni des injures de vos alliés, c'est votre liberté qui est en péril, c'est votre vie.

Souvent, pères conscrits, j'ai parlé dans cette enceinte du luxe et de l'avarice de nos citoyens. Ma franchise m'a fait beaucoup d'ennemis, car moi qui ne me pardonnerais pas une pensée même contre les lois, vous savez que je ne pardonnais pas aux méfaits de ce temps dépravé. Vous faisiez peu de cas de mes paroles, mais la république était forte, et sa force excusait votre insouciance. Maintenant la question n'est plus de savoir si nous aurons de bonnes ou de mauvaises moeurs, si l'empire romain aura plus ou moins d'étendue ou de splendeur, il s'agit de savoir si ce que nous possédons nous doit demeurer ou bien appartenir à l'ennemi.

Et l'on me parle de pitié, de clémence ! En vérité, il y a longtemps que nous avons oublié le vrai sens des mots. Prodiguer le bien d'autrui, aujourd'hui c'est libéralité ; audace dans le crime, c'est courage. Voilà où nous en sommes. Eh bien ! puisque telles sont les moeurs du temps, que l'on soit libéral des richesses de nos alliés ; que l'on soit clément pour les voleurs du trésor public ; mais au moins ne laissons pas faire des libéralités de notre sang, et pour épargner quelques scélérats ne consentons point à la perte de tout ce qu'il y a de gens de bien. C. César vient de disserter en bon orateur sur la vie et sur la mort ; apparemment parce qu'il regarde comme faux tout ce qu'on dit des enfers. Il ne croit pas qu'il y ait des chemins différents au delà de cette vie pour les bons et les méchants, et que ces derniers habitent des lieux sombres, incultes, horribles, épouvantables. Il veut que les biens de ces hommes soient confisqués, et eux-mêmes, qu'on les garde en prison dans des municipes, craignant sans doute qu'à Rome, leurs complices ou bien la multitude achetée ne les enlève de force, comme s'il y avait à Rome seulement des traîtres et des scélérats, comme si un coup de main audacieux n'était pas plus praticable là où les moyens de défense sont moindres. S'il redoute quelque danger de leur part, son projet est illusoire ; si au milieu de la terreur générale lui seul est rassuré, c'est pour moi et pour vous un motif de craindre davantage».

Voilà une vive allusion à la complicité de César échappée à la prudence de Salluste ; nous retrouverons un trait semblable à la fin du même discours ; mais une attaque directe convenait davantage au caractère de Caton, et il est probable qu'il s'exprima plus clairement encore.

Après avoir montré que la faiblesse du sénat ne pourrait qu'accroître les forces et l'audace des conjurés en armes dans l'Etrurie, et que la clémence, dans une conjoncture si grave, ne serait qu'une preuve de lâcheté, l'orateur invoque les anciens exemples de la sévérité des magistrats, et rappelle la rigueur de Manlius Torquatus, qui fit trancher la tête à son fils pour avoir combattu contre ses ordres.

«Et vous, s'écrie-t-il, vous hésitez à prononcer la mort contre les plus cruels parricides ! Vous épargneriez un Lentulus, un monstre odieux à tous les hommes ? Vous seriez touchés de la jeunesse d'un Céthégus, qui pourtant a déjà fait deux fois la guerre à son pays ? Si dans notre situation, pères conscrits, il nous était permis de faire une faute, j'attendrais que l'expérience vînt vous éclairer, car je n'espère pas vous convaincre. Mais nous sommes pressés de toutes parts. Catilina, avec son armée, nous tient l'épée sur la gorge ; dans nos murs sont d'autres ennemis ; nous ne pouvons rien préparer, rien décider en secret (39). Hâtons-nous donc d'en finir. Voici mon avis : Attendu qu'un complot exécrable, tramé par quelques citoyens pervers, a mis la république dans le plus grand danger ; attendu que d'après la déposition de T. Volturcius et des députés allobroges, et d'après leur propre aveu, ils ont été convaincus d'avoir projeté des meurtres, des incendies et d'autres attentats affreux et abominables contre leurs concitoyens, je vote pour qu'ils soient traités comme les coupables de faits capitaux manifestes, et qu'ils soient livrés au supplice suivant la coutume de nos ancêtres (40)».

Aussitôt que Caton se fut assis, César répondit avec vivacité aux accusations directes ou détournées qu'on venait de lancer contre lui. Caton répliqua à son tour, et pendant quelques moments les deux adversaires échangèrent les récriminations et les personnalités les plus offensantes. Au milieu de ce débat, survint un incident ridicule, que je ne rapporterais point s'il ne peignait le caractère de César. Cet homme extraordinaire pendant toute sa vie mena toujours de front les affaires et ses plaisirs. Sa passion pour les femmes aurait pu l'entraîner à de grandes fautes dans une autre société que la sienne ; mais, à Rome, peu de femmes prétendaient à exercer une influence politique, et la plupart ne cherchaient dans l'amour qu'une satisfaction des sens. Une seule femme, mais une Grecque, domina César ; pour Cléopâtre il oublia les vaincus de Pharsale se ralliant en Afrique, l'Asie en armes, Alexandrie insurgée Rome livrée aux factions. Il avait alors cinquante-trois ans ; lorsqu'il jugeait les conjurés, il n'en avait que trente-huit. Servilia, femme de Silanus, et soeur de Caton, était sa maîtresse. Tandis que Caton l'accusait au milieu du sénat, on le vit recevoir un billet et le lire à la dérobée en se cachant d'un pan de sa toge. Ce billet était de Servilia, et sans doute il n'y était point question de politique. «Qui sait, s'écria Caton, s'interrompant tout à coup ; qui sait si cette lettre que César vient de recevoir, n'est pas émanée de quelqu'un des conjurés. Elle prouve peut-être cette correspondance coupable que tant d'indices me révèlent ; consul, ordonnez qu'on lise tout haut ce billet mystérieux». La situation était délicate, et les moeurs romaines n'avaient rien de chevaleresque. César tendit la lettre à Caton qui, d'un coup d'oeil, reconnut la main et le sceau de sa soeur. «Tiens, ivrogne (41) !» lui dit-il en jetant la lettre à ses pieds ; et il continua son discours.

César était trop puissant pour que les accusations de Caton pussent le perdre : mais le chef d'une opposition obligé de se défendre au moment où il presse le plus vivement ses adversaires, a perdu bientôt la plus grande partie de ses avantages. L'assemblée, émue par les reproches de Caton, entraînée par son audace et par le spectacle d'une lutte où le champion des priviléges oligarchiques semblait avoir le dessus, recouvra son énergie, et le consul n'eut plus qu'à presser la délibération pour recueillir les fruits de la victoire. Il se hâta de mettre fin aux personnalités échangées entre les deux orateurs, et pour reconnaître le courage de celui qui l'avait si bien secondé, autant que pour punir la faiblesse de Silanus, il proposa à l'assemblée de rendre son sénatus-consulte conformément au vote de Caton (42). C'était l'honneur le plus grand que le sénat pût accorder à un de ses membres. En revanche, Caton introduisit dans le considérant de cet acte, qu'il dut probablement rédiger lui-même, les éloges les plus flatteurs pour la vigilance et le patriotisme du consul.

Il essaya d'un autre côté de compromettre son ennemi et d'attacher son nom à la sentence, en ajoutant au supplice capital la confiscation des biens proposée tout à l'heure par César. La discussion se ranima sur cette question avec un redoublement de vivacité ; César se plaignit qu'après avoir rejeté l'avis le plus modéré, on allât y chercher une disposition rigoureuse pour aggraver encore un arrêt qui n'était que trop sévère. Il appela les tribuns à son aide, et les adjura de faire usage de leur intercession. Au milieu d'un tumulte effroyable, il continua seul de protester avec la plus grande énergie, sans qu'un seul des tribuns se levât pour le seconder (43).

Le désordre était à son comble dans le temple ; au dehors régnait une agitation non moins vive. Tandis que la populace, excitée par les affranchis et les esclaves des conjurés, s'attroupait confusément et faisait entendre des clameurs séditieuses, la phalange dévouée qui entourait le temple de la Concorde, et surtout les riches chevaliers que la peur du pillage avait fait courir aux armes, demandaient à grands cris la mort des coupables, prêts eux-mêmes à en faire justice, si le consul voulait employer leur bouillante fureur. Tous les incidents de la séance leur étaient déjà connus, et les protestations de César avaient exaspéré ces hommes armés et prêts à tout entreprendre. Leurs menaces retentissant jusque dans la curie, épouvantèrent sans doute les tribuns et les rendirent sourds aux prières et aux vives interpellations de César, qui s'opiniâtrait dans sa résistance désespérée. Les débats avaient occupé toute la durée d'un jour d'hiver ; la nuit approchait. Pressé de terminer une lutte dont la prolongation pouvait rendre la victoire incertaine, le consul céda sur un point auquel il n'attachait qu'une médiocre importance ; il consentit à ce que la confiscation ne fût point mentionnée dans le sénatus-consulte (44), et aussitôt il se hâta de lever la séance, vraisemblablement avant que les tribuns eussent pris un parti au sujet des protestations de César.

Si l'on en croit Suétone, dont le témoignage semble porter le caractère de la vérité, les chevaliers de garde autour du temple n'attendirent pas que le consul eût congédié le sénat, pour envahir en armes l'enceinte de ses délibérations (45). Une troupe de furieux entoura César l'épée à la main, la menace à la bouche. Déjà les sénateurs qui siégeaient auprès de lui s'écartaient épouvantés. Ni son caractère de magistrat ni les insignes vénérés de son sacerdoce ne l'eussent sauvé peut-être, si quelques hommes courageux, se serrant autour de lui, ne lui eussent fait comme un rempart de leurs toges. M. Curion, personnage consulaire bien connu pour être l'ennemi personnel de César, n'hésita point à se précipiter au-devant des poignards et à le couvrir de son corps (46). En ce moment quelques affidés du consul osèrent, dit-on, lui offrir de le débarrasser d'un ennemi redoutable ; mais quand même la crainte de représailles terribles ne l'eût pas arrêté, Cicéron respectait le sénat jusque dans la personne de son adversaire le plus dangereux. Il fit un signe, la foule menaçante s'écarta, et César put regagner sa maison, annonçant avec emphase qu'il ne reparaîtrait plus dans le sénat, jusqu'à ce que de nouveaux consuls eussent assuré à ses délibérations l'ordre et la liberté qui devaient toujours y régner (47).

Cicéron, dès qu'il eut entre ses mains le sénatus-consulte, ne perdit pas un moment. Soit qu'il partageât l'anxiété de quelques sénateurs qui craignaient qu'une émeute nocturne ne délivrât les prisonniers, soit, comme il est plus probable, qu'il ne voulût pas laisser à César le temps de gagner un tribun et de convoquer les comices pour le lendemain, il donna l'ordre sur-le-champ aux triumvirs capitaux de tout préparer pour que la sentence reçût immédiatement son exécution. Lui-même, accompagné d'un grand nombre de sénateurs et d'une troupe de soldats armés, alla prendre Lentulus sur le mont Palatin, dans la maison où il était détenu, et le conduisit au travers de la voie Sacrée et du Forum dans la prison du Capitole. En même temps les préteurs y amenaient Céthégus, Gabinius, Statilius et Céparius, arrêté la veille, chacun entouré d'une escorte imposante. Toutes les avenues étaient gardées et le Capitole était rempli de soldats. Sur le passage des prisonniers la foule se pressait en silence et saisie d'horreur. Les jeunes gens surtout, en voyant traîner, chargés de chaînes, au milieu d'une haie de piques, ces compagnons de leurs joyeuses orgies, se sentaient glacés d'épouvante. Ils croyaient, dit Plutarque, assister à quelque mystère terrible et suivre la pompe d'un sacrifice qu'on allait offrir aux divinités inconnues des patriciens (48).

Dans la prison était un cachot souterrain, enfoncé de douze pieds au-dessous du sol, qu'on appelait le Tullianum, parce qu'on en attribuait la construction au roi Servius Tullius (49). Longtemps ce fut la seule prison qui existât à Rome (50). Il survit encore aujourd'hui à la ruine de tant de monuments, ouvrages des empereurs. Des pierres énormes forment ses murailles toujours humides, que couvre une voûte basse et épaisse. Là, le jour n'arrive jamais, l'air ne s'y renouvelle qu'avec peine. En ce lieu les bourreaux attendaient leurs victimes, qu'on leur livra successivement. Lentulus fut poussé le premier dans le Tullianum et aussitôt étranglé ; ses quatre complices, l'un après l'autre, subirent le même supplice, et lorsque le dernier fut mort, le consul, qui avait peut-être présidé l'exécution en personne (51), descendit au Forum avec son cortège de soldats et de sénateurs, et se montra à la multitude qui attendait en silence le dénoûment de cette lugubre tragédie : «Ils ont vécu !» dit-il.

Aussitôt un long cri de surprise retentit dans toute la place. Ceux des conjurés qui avaient jusqu'alors conservé l'espoir de délivrer les prisonniers, les esclaves et les artisans qui leur avaient promis leur secours, tremblant pour eux-mêmes, ne songeaient plus maintenant qu'à se cacher. Toute la populace, prête un instant auparavant à briser les portes de la prison, oublia ses projets séditieux à ce mot terrible. Ils ont vécu ! répéta-t-elle en applaudissant à la fermeté du consul, car tout acte de vigueur enlève l'admiration de la multitude.

Toujours accompagné de son escorte, grossie maintenant d'une foule de consulaires et de sénateurs, Cicéron traversa de nouveau le Forum pour regagner sa maison. Tous ces vieux généraux qui avaient gagné des batailles, qui avaient étendu au loin les bornes de l'empire, se pressaient autour de l'orateur, mais on les remarquait à peine, et on les eût pris pour ces citoyens prisonniers de guerre qui, délivrés par la victoire, suivaient avec le bonnet d'affranchis la pompe d'un triomphateur. Devant chaque maison brillaient des torches allumées.

Du haut des toits les femmes saluaient leur consul de leurs acclamations et le montraient à leurs enfants ; de tous côtés on s'écriait : «Voici le sauveur de la république ! voici le père de patrie !» Quelques années plus tard, Cicéron quittait Rome, tête voilée ; ce même peuple venait de lui interdire le feu et l'eau, et ce qu'on appelait, le soir des nones de décembre, un acte de courage et de justice, on le nommait un acte de tyrannie, un attentat contre les lois.


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(1)  Cic., Cat., IV, 5.

(2)  On a conclu qu'il n'assista pas à la séance, de ce qu'il n'est pas nominé parmi les consulaires qui prirent part au jugement des conjurés (Cic., ad Att., XII, 21).

(3)  Equitatus ille, quem ego in clivo Capitolino, te signifero ac principe (Attico) collocaram (Cic., ad Att., 1, 17).

(4)  Dio Cass., 37, 35.

(5)  Plin., Ep., VIII, 14, p. 19, ed. Bip.

(6)  Post novam affinitatem, Pompeium primum rogare sententiam coepit, quum Crassum soleret ; essetque consuetudo, ut quem ordinem interrogandi sententias consul, kalendis januariis, instituisset, eum toto anno conservaret (Suet., Jul., 21).

(7)  Plut., Cic., 20.

(8)  Aujourd'hui même encore, il est rare qu'un Italien prononce le mot de mort sans y ajouter comme correctif salute a noi ! Dans quelques ballades corses, j'ai entendu désigner la mort par ce mot : Ella, elle. C'est probablement une tradition antique.

(9)  Cic., ad Att., XII, 21, 1.

(10)  Voy. chapitre 7.

(11)  Cfr. Plut., Cat. Min., 23. - Cic., Pro Sull., 14.

(12)  On a tiré un argument singulier contre l'authenticité de ce discours, de ce qu'il commence par une phrase en quelque sorte littéralement traduite d'une harangue de Démosthène (Dem. p. Chers.). Cela indique, dit-on, une oeuvre de rhéteur préparée dans le loisir du cabinet. J'avoue que je ne comprends pas la force de l'objection. De ce qu'un député français aurait allégué dans un discours un aphorisme politique de Pitt ou de Fox, devra-t-on en conclure, quelques siècles après, qu'il n'a pas prononcé ce discours ? César, comme tous les orateurs de son temps, avait beaucoup étudié Démosthène ; c'était assurément la meilleure autorité à citer dans une compagnie dont presque tous les membres étaient nourris des auteurs grecs, et qui parlaient le grec aussi facilement que leur propre langue. On peut juger de l'usage du grec à Rome par ce seul trait : César, percé de coups de poignard, disait à Brutus : «Kai su tecnon !» et presque en même temps Casca appelait son frère à son secours en lui criant : «Adelphe boethei» (Suet., Caes., 82. - Plut., Caes., 66).

(13)  Bello macedonico, quod cum rege Perse gessimus... infida atque adversa nobis fuit. - J'ai tâché de conserver ces espèces de pléonasmes qui, de même que beaucoup d'autres passages, indiquent la négligence d'une improvisation.

(14)  La loi Porcia, dans celle de ses dispositions qui abolit la peine des verges.

(15)  Celle qui permet au citoyen accusé d'un crime capital de se dérober par l'exil à la peine de mort.

(16)  Voy. Guerre sociale, § 17.

(17)  Cfr. Sall., Cat., 51 - Cic., Cat., IV, 4, 5. - Plut., Caes., 7. - Id., Cic., 21. - Dio Cass., 37, 36. - App., Civ., 2, 6. - Dans le chapitre suivant, j'ai réuni les observations que m'ont suggérées le discours de César et les conjectures qui me paraissent l'expliquer.

(18)  Plut., Cic., 21. - Id., Cat., 23. - Caes., 8. - Dio Cass., 37, 36.

(19)  Suet. Caes. 14.

(20)  Il se considère déjà comme consulaire, le terme de ses fonctions devant expirer dans quelques jours. On a fait de cette expression si naturelle un argument contre l'authenticité de la quatrième Catilinaire. On se demande si les érudits qui font de pareilles objections comprennent Cicéron !

(21)  Nec tamen suris Ille ferreus (Cic., Cat., IV, 2.)

(22)  Horum omnium lacrymis a quibus me circumsessum videtis (Cic., Cat., IV, 2). - Voilà encore un de ces passages qui prouvent à quelques érudits allemands que la quatrième Catilinaire est supposée. Le Scholiasta Gronovianus l'explique ainsi : «Stabant omnes ante oculos ipsius et flebant, gener Piso, frater Q. Cicero, Terentia uxor, filia Tullia, filius Cicero». Là-dessus on s'écrie : Quoi ! tout ce monde dans le sénat ? c'est impossible ! c'est absurde ! - D'accord ; mais c'est le Scoliaste qui est absurde avec son explication, et qui ne sait ce que c'est qu'une prosopopée. - Evidemment, il ne s'agit que des sénateurs amis de Cicéron, effrayés de la terrible responsabilité qu'il assumait contre lui. - Mais, poursuit le critique allemand, ridetis s'applique à tous les sénateurs ; il faut donc que le faussaire auteur de la quatrième Catilinaire suppose un groupe d'étrangers autour du consul. - Je n'ai rien à répondre à cet argument. Il est sans exemple, en effet, qu'un orateur s'adresse à une partie seulement d'une assemblée. Ces observations si subtiles, on le voit bien, ne viennent pas d'un pays où le régime représentatif est en vigueur.

(23)  C. Calpurnius Piso Frugi, fiancé à Tullia, fille de Cicéron. On conteste sa présence dans le sénat. Je répondrai que les termes mêmes de l'orateur font supposer qu'il était en dehors du temple. En parlant de son frère Quintus, il dit fratris praesentis ; quant à son gendre, il ajoute : exspectans hujus exitum diei adstat in conspectu meo gener. Calpurnius était probablement parmi les chevaliers romains qui entouraient la curie.

(24)  Il fit assassiner C. Memmius, candidat au consulat, en 654 (voy. Guerre sociale, p. 59).

(25)  Cic , Cat., IV, 1, 2, 3.

(26)  Ce passage est un renseignement précieux sur le système administratif des Romains. On voit combien les villes d'Italie étaient encore indépendantes de la métropole.

(27)  On peut apprécier, par les discours de César et de Cicéron, l'état de la religion à Rome. César, grand pontife, nie l'immortalité de l'âme avec un laconisme plus absolu que toutes les déclamations : Cicéron se contente de rappeler l'opinion ancienne sur les enfers ; mais on ne sait s'il l'approuve comme politique, ou s'il la tient pour véritable. La timidité de sa réponse ferait croire que la majorité du sénat partageait le matérialisme de César.

(28)  Cic., Cat., IV, 5. - Je conserve en traduisant l'espèce de jeu de mots qui résulte du double sens du mot popularis. Ce jeu de mots cache peut-être une intention profonde, que j'aurai à faire remarquer tout à l'heure.

(29)  Cic., Cat., IV, 5.

(30)  Cfr. E. A. J. Ahrens, Excurs. ad Cat., IV, p. 214. - La loi Sempronia, rendue sur la proposition de C. Gracchus, interdisait à tout magistrat de prononcer une condamnation capitale contre un citoyen romain, sans avoir obtenu l'assentiment du peuple. C'est à cette loi que César faisait allusion en disant que la loi Porcia et d'autres avaient permis aux citoyens d'échapper à la peine de mort en s'exilant. S'il ne l'a pas citée nominalement, c'est, ou qu'elle était tombée depuis longtemps en désuétude, ou qu'il ne veut pas, dans l'intérêt des accusés, rappeler au sénat une loi introduite dans la constitution par un homme odieux à ce corps. Au reste, la loi Sempronia n'avait jamais été formellement abrogée, et, dans l'opinion des démagogues, elle était encore existante. Cicéron ne nie point qu'elle ne puisse être invoquée ; mais il prétend qu'elle ne peut s'appliquer à la position des accusés, qui déjà déclarés ennemis publics, perduelles, ont par conséquent cessé d'être citoyens.

(31)  Jussu populi (Cic., Cat., IV, 5). - C'est une fausseté évidente. C. Gracchus fut mis à mort en vertu d'un sénatus-consulte. S'il n'était plus naturel d'attribuer à Cicéron un mensonge utile, ce serait peut-être le cas d'entendre le mot populus dans le sens que lui donnait Niebuhr, c'est-à-dire comme la réunion des familles patriciennes, dont la plebs était exclue.

(32)  Dederitis mihi comitem ad concionem populo carum (Cat., IV, 6). - Nous avons déjà vu Cicéron empressé de communiquer au peuple les résolutions du sénat, et lui en demander en quelque sorte la ratification. Ici encore, il semble se préparer à le consulter de nouveau. Cependant il est plus que vraisemblable que telle ne fut jamais son intention. Il voulait obtenir un sénatus-consulte, et d'avance il avait assumé sur lui la responsabilité de son exécution. Maintenant il s'agissait de tromper ses adversaires, en leur persuadant que le jugement du sénat n'était pas définitif, et par conséquent les empêcher d'élever une question préjudicielle de la plus haute gravité, à savoir si le sénat avait le droit de juger en dernier ressort dans un cas de Perduellien.

(33)  Cic., Cat., IV, 6.

(34)  Id., ibid., 8.

(35)  Cic., Cat., IV, 9.

(36)  Cic., Cat., IV, 10.

(37)  Cic., Cat., IV, 11.

(38)  Plutarque rapporte que le discours de Caton existait de son temps, et que c'était le seul de ce grand homme qui se fût conservé (Plut., Cat. min., 23).

(39)  Il insinue sans doute que César ou d'autres sénateurs correspondaient avec les conjurés.

(40)  Sall., Cat., 52.

(41)  Plut., Cat. min., 24. - Caton disait, d'ailleurs, que parmi tous les factieux qui avaient conspiré le renversement de la république, César seul était sobre. Le mot ivrogne ne doit donc pas être pris ici à la lettre. Caton veut dire sans doute qu'il fallait être étourdi comme un ivrogne, pour s'occuper d'intrigues d'amour au milieu de si graves événements.

(42)  Senatus in Catonis sententiam discessit (Sall., Cat., 55). - Cic., ad Att., XII, 21.

(43)  Plut., Cic., 31.

(44)  Plut., Cic., 21.

(45)  Cela résulte clairement des expressions mêmes employées par Suétone. - «Ac ne sic quidem impedire rem destitit (Caesar) quoadque manus equitum romanorum quae armata praesidii causa, circumstabat, immoderatius perseveranti necem comminata est : etiam strictos gladios usque eo intentans, ut sedentem una proximi deseruerent.» (Suet., Caes., 14.) - Salluste rapporte la même scène, mais comme ayant eu lieu au sortir du sénat. - «Adeo ut nonnulli equites romani... egredienti ex senatu Caesari gladio minitarentur». (Sall. Cat., 49.) - Plutarque a suivi la même version : Caes., 8. - Le récit de Suétone me parait expliquer mieux la fin tumultueuse de la séance et l'impossibilité d'obtenir l'appel au peuple des tribuns effrayés.

(46)  Plut., Caes,, 8.

(47)  Suet., Jul., 14.

(48)  Plut., Cic., 22.

(49)  Varr., de LL., IV, p. 42, ed. Pip.

(50)  Felicia dicas / Secula quae quondam sub regibus atque tribunis / Viderunt uno contentam carcere Romam.

(51)  (App., Civ. II, 6)