[VIII. Exécution des complices de
Catilina]
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Le lendemain, jour des nones de décembre, le
sénat devait prononcer sur le sort des prisonniers ;
ce fut encore dans le temple de la Concorde qu'il se
réunit ; mais les pères conscrits
étaient moins nombreux que la veille, et l'on
remarquait dans l'assemblée l'absence de plusieurs
personnages considérables (1). Quelques-uns
peut-être étaient retenus par la crainte de
révélations compromettantes ; d'autres, tels
que Crassus (2),
irrités contre Cicéron, refusaient hautement de
prendre part à ce qu'ils appelaient déjà
des actes de tyrannie : la plupart répugnaient
à siéger comme juges dans un procès
où, l'on allait prononcer sur le sort de citoyens
illustres alliés à de grandes maisons
patriciennes.
Le consul n'avait
négligé d'ailleurs aucune précaution
pour rassurer contre toute tentative factieuse les
sénateurs qui s'étaient rendus à leur
poste. Une troupe nombreuse de jeunes chevaliers en armes
gardait les abords du temple, sous la conduite de quelques
amis dévoués de Cicéron (3). De fortes patrouilles
parcourant les rues, le Capitole et les principaux
édifices publics occupés par des soldats, le
serment militaire exigé dès la veille de tous
les citoyens (4),
qui transformait pour ainsi dire la ville en un camp, tous
ces préparatifs, s'ils révélaient la
grandeur du péril, annonçaient aussi de la part
du gouvernement l'intention de faire respecter ses
décrets, quels qu'ils fussent.
Il n'est peut-être pas
inutile de rappeler ici suivant quelle forme avaient lieu les
délibérations du sénat. Le
président de l'assemblée, c'est-à-dire
celui qui l'avait convoquée (c'était un des
consuls, ou, en leur absence, un préteur), nommait
successivement chaque sénateur inscrit sur l'album, et
lui demandait son sentiment sur la question à l'ordre
du jour. Chacun devait répondre à l'appel de
son nom et donner son avis à haute voix ; les uns
motivaient leur opinion dans un discours, les autres se
bornaient à déclarer qu'ils votaient
conformément à l'avis de tel ou tel orateur
interrogé avant eux. Le plus souvent même on
faisait connaître son vote en se plaçant
à côté du sénateur dont on
approuvait les conclusions. Vers la fin de la discussion, le
consul, pour savoir de quel côté se trouvait la
majorité, ordonnait aux sénateurs de se former
en groupes autour des auteurs des différentes
propositions (5).
L'usage était d'interroger d'abord, soit le prince du
sénat, soit un des consuls désignés,
ensuite les consulaires, les préteurs et les
magistrats en fonctions ou désignés ; cependant
le président avait le droit d'intervertir à son
gré l'ordre de l'appel (6) ; il pouvait aussi
prendre la parole au milieu de la
délibération.
Après avoir
exposé qu'il s'agissait de statuer sur la punition
qu'on devait infliger aux coupables, Cicéron se tourna
vers Silanus, le premier des consuls désignés,
et l'interrogea en lui disant, suivant la forme
consacrée : «Parle, Decimus Junius».
Silanus opina en peu de mots. Au milieu d'un profond silence,
il déclara que les accusés méritaient la
dernière peine (7). Le mot de mort,
surtout appliqué à un citoyen romain, causait
une horreur involontaire (8), et à la faveur
de son euphémisme, Silanus parut d'abord
entraîner tous les suffrages. Autour de lui
rangèrent son collègue désigné L.
Murena, puis les consulaires Catulus, Servilius Isauricus, L.
et M. Lucullus, C. Curion, L. Torquatus, M. Lépidus,
L. Gellius, Volcatius Tullus, Marcius Figulus, L. Cotta, L.
César, C. Pison et M. Acilius Glabrion (9), la plupart amis
politiques de Cicéron et dévoués aux
intérêts du parti oligarchique. Le vote de L.
César, bien qu'il l'eût en quelque sorte
annoncé deux jours auparavant (10), produisit une forte
sensation, car on supposait qu'il obéissait comme de
coutume aux inspirations de son parent, le fameux C.
César, dont personne ne connaissait encore le
sentiment. Tous les regards étaient fixés sur
lui, lorsque, interrogé à son rang comme
préteur, il se leva et prit la parole.
Son discours est
rapporté par Salluste. Si l'on se rappelle que ses
sténographes avaient été chargés
par Cicéron de tenir note de tous les incidents de ce
procès mémorable (11), on peut croire que
l'opinion de César nous a été
textuellement conservée. Chacun peut le remarquer en
effet, non seulement le style de ce discours diffère
notablement de celui de l'historien, mais encore le
désordre et les répétitions qu'on y
rencontre portent tout le caractère d'une
improvisation. Il est d'ailleurs improbable que Salluste,
créature de César, eût osé
falsifier les paroles d'un homme qui avait la
réputation d'orateur, surtout à une
époque où bien des copies de ce discours
existaient dans le public, et lorsque vivaient encore tant de
sénateurs qui l'avaient entendu prononcer (12).
«Pères
conscrits, dit César, ceux qui
délibèrent sur des questions difficiles doivent
être exempts de haine, d'affection, de colère,
de pitié. Il est malaisé de découvrir la
vérité lorsque ces sentiments viennent nous
distraire, et personne n'a obéi en même temps
à sa passion et à son intérêt. Que
votre esprit soit libre, il aura toute sa force ; si la
passion le possède, il sera sans force. J'aurais ici
une belle occasion, pères conscrits, de vous rappeler
les fautes de tant de rois et de tant de peuples, qui se sont
laissé entraîner à la colère ou
à la pitié, mais j'aime mieux vous dire ce que
nos ancêtres ont fait à bon droit en
résistant à la passion. Lors de la guerre de
Macédoine que nous eûmes contre le roi
Persée, la république des Rhodiens, puissante
et capable de grandes choses, qui, grâce à nous,
s'était accrue et enrichie, nous fut infidèle
et se tourna contre nous (13). Après la
guerre on délibéra sur cette république.
Eh bien ! nos ancêtres craignirent qu'on ne les
accusât de faire la guerre aux Rhodiens plutôt
pour leurs richesses que pour leurs torts envers Rome. Ils
leur pardonnèrent. Même conduite dans toutes les
guerres puniques. Les Carthaginois, pendant la paix, pendant
les trêves, avaient commis d'horribles excès.
Jamais nos ancêtres ne les imitèrent, pouvant se
venger, car ils cherchaient plutôt ce qui était
digne d'eux que ce que permettait le droit de la
guerre.
Suivez leur exemple, pères conscrits, et gardez
qu'auprès de vous le crime de P. Lentulus et des
autres ne vous fasse oublier ce que vous vous devez à
vous-mêmes. Songez moins à vos injures
qu'à votre gloire. Pour moi, si quelqu'un trouve une
peine proportionnée à leur crime, je me range
à son avis. Si la grandeur du forfait défie
l'invention d'un supplice, j'estime que nous devons leur
appliquer nos lois. La plupart des orateurs qui ont
parlé avant moi se sont apitoyés avec beaucoup
d'art et d'éloquence sur la triste situation de la
république. Ils vous ont dit la cruauté de nos
ennemis ; ils ont énuméré tous les maux
réservés aux vaincus ; les vierges, les enfants
déshonorés, les fils arrachés aux bras
d'un père, de nos matrones abandonnées à
la brutalité des vainqueurs, les temples, les maisons
au pillage, le meurtre, l'incendie, enfin, partout du fer,
des cadavres, du sang, des larmes... Mais, par les dieux
immortels ! pourquoi ce hideux tableau ? Veulent-ils vous
animer contre la conjuration ? Eh quoi ! espèrent-ils
que celui que n'a pas ému un si grand attentat se
laissera enflammer à des paroles ? Non, non. Nul ne
regarde d'un oeil indifférent les maux qui lui sont
personnels. La plupart des hommes ne les sentent que trop
vivement. Mais tout n'est pas permis à tout le monde,
pères conscrits. Les hommes de peu, si la
colère les pousse à quelque violence, à
peine le sait-on. Ils s'agitent dans une sphère
étroite comme leur fortune. Ceux qui dominent,
revêtus d'un grand pouvoir, pas une de leurs actions
n'est ignorée de tous les mortels. Ainsi, au rang le
plus élevé les obligations les plus
sévères. Là il ne faut ni
partialité, ni haine, ni colère surtout, car ce
qui passerait ailleurs pour emportement, dans le pouvoir,
c'est de la tyrannie, de la cruauté.
Pour moi, pères conscrits, il n'y a pas de tourments
qui ne me paraissent trop doux pour ces hommes. Mais, vous le
savez, la plupart ne conservent des événements
que les dernières impressions. Des grands coupables on
oublie bientôt le crime, on ne parle que de leur
supplice, s'il a été quelque peu
sévère.
Certes, D. Silanus a
parlé en homme de bien et en bon citoyen.
L'intérêt de la république a dicté
ses paroles, je le sais. Dans des circonstances si graves, il
est demeuré inaccessible à la faveur et
à la vengeance. Mais, je l'avoue, son avis me parait,
je ne dirai pas cruel, car qui pourrait être cruel pour
de tels hommes ? mais étranger à nos moeurs et
à nos précédents. Oui, Silanus, c'est le
danger de la patrie ou bien l'indignation qui t'a
emporté, lorsque toi, consul désigné, tu
viens conclure à une peine nouvelle. Du danger, il est
inutile de vous en entretenir, lorsque, par les soins de
notre illustre consul, nous voyons tant de troupes sous les
armes. Au sujet de la peine, je dirai les choses telles
qu'elles sont. Dans le désespoir et le malheur,
qu'est-ce que la mort ? La fin des souffrances, et non un
châtiment. Avec elle finissent les maux de
l'humanité ; au delà il n'y a pas plus de
soucis que de plaisirs. Mais, de par tous les dieux, Silanus,
pourquoi n'as-tu pas ajouté à ta sentence que
les coupables seraient battus de verges ? Est-ce parce que la
loi Porcia le défend ? Mais il y a d'autres lois qui
permettent au citoyen de racheter sa vie par l'exil. Est-ce
parce que c'est chose plus grave de battre de verges un homme
que de le mettre à mort ? Mais qu'y a-t-il de trop
grave et de trop rigoureux contre des hommes convaincus d'un
si grand crime ? Est-ce parce que les verges sont une peine
trop légère ? Pourquoi donc observes-tu la loi
sur un point de peu d'importance (14), lorsque tu en
oublies les dispositions les plus essentielles (15) ? Mais, dira-t-on,
qui oserait blâmer la sentence que l'on va rendre
contre ces fils parricides de la république ? Qui ? -
Le temps, l'occasion, la fortune, dont le caprice gouverne le
monde. - Leur sort, quel qu'il soit , ces hommes l'ont
mérité. Mais vous, pères conscrits,
considérez que vous allez ordonner, non point d'eux,
mais de l'avenir. Tous abus sont nés de bons
commencements. Mais que le pouvoir tombe à des mains
moins habiles ou moins pures, le précédent
introduit par vous avec justice et raison, sera
peut-être appliqué injustement, impolitiquement.
Les Lacédémoniens, après avoir vaincu
Athènes, lui imposèrent un conseil de trente
membres qui devait administrer la chose publique. Ce conseil
s'en prit d'abord à des misérables, odieux
à tout le monde, et les fit mourir sans forme de
procès. Et le peuple de se réjouir et de dire
que c'était à bon droit. Bientôt les
trente s'abandonnèrent à l'orgueil du pouvoir.
Ils firent tuer sans distinction bons et méchants pour
effrayer le reste. Aussi, Athènes expia-t-elle sa joie
insensée par une dure servitude. De nos jours, lorsque
Sylla victorieux fit couper la gorge à Damasippus
(16) et à
quelques autres scélérats devenus puissants
parmi les malheurs de la république, qui d'abord ne
loua cette vengeance ? On disait que justice était
faite d'hommes pervers et factieux qui avaient affligé
la république par tant de séditions. Mais ce
coup fut le prélude d'une immense calamité. Car
bientôt il suffit d'avoir une maison, une terre, que
dis-je ? un vase ou un vêtement qui excitât la
convoitise de quelque misérable, pour qu'il vous
fît mettre sur les tables de proscription. Ainsi, ceux
qui avaient applaudi à la mort de Damasippus furent
promptement après lui traînés à la
boucherie, et les massacres ne cessèrent que lorsque
Sylla eut gorgé de richesses tous les siens. Sans
doute, avec un consul tel que M. Tullius, dans un temps comme
le nôtre, je ne crains pas le retour de pareils
excès ; mais dans un grand Etat il se trouve bien des
génies différents. Dans un autre temps, avec un
autre consul, qui disposerait d'une armée, le faux
pourrait passer pour vrai. Une fois que, s'autorisant de
l'exemple introduit par vous, ce consul, que je suppose,
surprendrait un décret du sénat et tirerait le
glaive, qui pourrait lui poser dis limites ? qui pourrait le
retenir ?
Nos ancêtres, pères conscrits, n'ont jamais
manqué d'énergie ni de courage. Jamais
l'orgueil ne les a empêchés d'imiter les
institutions étrangères lorsqu'elles
étaient bonnes. Vous savez que nos armes offensives et
défensives, ils les ont empruntées aux
Samnites, la plupart des insignes de nos magistrats aux
Etrusques. En un mot, tout ce qui, chez nos alliés ou
chez nos ennemis leur parut utile fut adopté par eux
avec un empressement extrême ; car nos pères
imitaient les bons exemples au lieu de jalouser ceux qui les
leur donnaient. C'est pourquoi, imitant les usages de la
Grèce, ils punirent certains délits par les
verges, ils instituèrent le dernier supplice pour de
grands coupables. Lorsque la république s'agrandit, et
qu'en s'accroissant elle se divisa en partis distincts,
l'innocence fut plus d'une fois surprise et plus d'un abus se
manifesta. Alors on y pourvut par la loi Porcia et d'autres
encore qui ouvrirent pour les condamnés la voie de
l'exil.
Dans l'affaire qui nous occupe, pères conscrits, je
crois de la dernière importance de ne pas introduire
un exemple nouveau. Sans doute, la vertu et la sagesse furent
plus grandes chez nos pères, qui ont
élevé cet immense empire avec de faibles
moyens, que chez nous, qui avons à peine la force de
retenir ce qu'ils ont bien acquis.
Conclurai-je à ce
qu'on mette en liberté les coupables et qu'on les
envoie grossir l'armée de Catilina ? Nullement. Voici
mon avis : que leurs biens soient confisqués ; que
leurs personnes soient retenues dans des municipes
fortifiés ; qu'à l'avenir nul ne puisse en
référer au sénat ou se présenter
devant le peuple pour demander leur réhabilitation,
à peine d'être déclaré par le
sénat ennemi de la république et du salut
commun (17)».
Ce n'est pas un spectacle nouveau dans un temps de
révolution, que de voir les hommes qui méditent
le renversement des lois s'en proclamer les
défenseurs, lorsque le pouvoir paraît
disposé à les enfreindre ; mais le sénat
n'attendait pas sans doute de César une argumentation
si mesurée, si pressante, un raisonnement en apparence
si impartial. Plus d'un vieux consulaire rougit en entendant
le jeune préteur désigné parler le
langage d'un Fabius, et rappeler ses égaux et ses
supérieurs au calme et à la modération
qu'ils étaient chargés de faire régner
dans la curie. Presque indifférent par sa position
politique au débat qui s'agitait devant lui,
César, à l'exemple de Crassus, aurait pu
s'abstenir de prendre part à cette
délibération, et attendre du temps une occasion
pour profiter des fautes de ses adversaires. Mais, d'abord,
il savait qu'il était soupçonné et il
voulait protester publiquement de son respect pour les lois.
En outre, le rôle que Catilina venait d'afficher par
son manifeste, César le jouait depuis longtemps avec
moins de risque et plus d'habileté. Il s'était
déclaré, dès son entrée aux
affaires, le protecteur des malheureux et des
opprimés, et pour les défendre il n'avait pas
besoin de tirer le glaive. Le temps n'était point
encore venu de faire une guerre ouverte au sénat, et
César ne voulut jamais livrer bataille que lorsqu'il
était sûr de la victoire. Aujourd'hui donc, il
avait à louvoyer entre plusieurs écueils
dangereux. Devant le sénat il fallait se justifier, et
se séparer nettement de la conjuration. En même
temps il savait que dans cette populace romaine, qu'il
considérait déjà comme l'instrument
nécessaire à ses grands desseins, bien des
sympathies étaient acquises à ces hommes dont
le sort allait se décider. Les défendre
après leurs aveux étaient une entreprise
imposible ; leur sauver la vie, c'était bien
mériter du peuple et humilier profondément
l'oligarchie. En prononçant contre les accusés
une sentence rigoureuse, il ôtait à ses
adversaires dans le sénat le moyen de le compromettre
lui-même ; il se lavait du soupçon de
complicité ; pour le peuple, il en faisait assez s'il
obtenait que la peine de mort fût commuée, et le
châtiment qu'il proposait ne devait passer que pour un
moyen d'arriver à ce résultat. Que s'il ne
pouvait prévenir une condamnation capitale, du moins
il la dénonçait d'avance à l'opinion
publique, assuré que sa popularité et sa
puissance s'augmenteraient de toutes les haines que ce coup
d'autorité allait soulever contre le sénat. Il
resserrait ses adversaires entre deux précipices,
dont, avec une joie maligne, il leur faisait mesurer toute la
profondeur. Placé entre la nécessité
d'enfreindre les lois, ou bien de proclamer son impuissance
devant un complot audacieux, le sénat n'avait que le
choix entre deux abîmes, et quel que fût ce
choix, il devait être utile à son ennemi. Il est
d'ailleurs permis de croire que dans cette circonstance
César n'obéit point seulement aux calculs de sa
politique ; ses liaisons anciennes avec quelques-uns des
accusés, sa générosité et sa
douceur tant célèbres, la faiblesse même,
presque féminine, de son naturel, l'engageaient
encore, je pense, à faire un effort pour sauver des
hommes que, dans son indifférence pour le bien et le
mal, il considérait non comme des criminels, mais
plutôt comme des insensés. Toujours
favorisé par la fortune, César, dans cette
occasion, de même que dans mainte autre de sa vie,
trouva ses penchants d'accord avec les intérêts
de son ambition.
Une agitation
extraordinaire suivit le discours que nous venons de
traduire. Une partie de l'assemblée l'accueillit par
ses applaudissements, le reste parut frappé de
terreur. Déjà tous les esprits timides que la
fermeté du consul avait animés peu auparavant
d'une énergie factice entrevoyaient les dangers qui se
préparaient pour eux dans un avenir peu
éloigné. César offrait à leur
faiblesse une excuse honorable, car il la cachait sous le
masque du respect pour les lois. Le premier, Silanus,
troublé par les interpellations personnelles de
César, et peut-être dominé par un
ascendant secret, déclara en balbutiant que l'on avait
mal interprété son opinion, car, s'il demandait
la dernière peine contre les accusés, ce
n'était pas à la mort qu'il voulait les
condamner, l'exil étant à son sentiment la
dernière peine pour un sénateur (18). Bien que cette
étrange rétractation ne trompât personne,
elle fut aussitôt adoptée par la plupart de ceux
qui s'étaient rangés d'abord au sentiment de
Silanus. En vain Catulus essaya-t-il de ranimer les esprits
en rappelant la grandeur du péril qui menaçait
la république, le découragement s'était
emparé du parti oligarchique, et il fut porté
à son comble lorsqu'on vit Q. Cicéron, le
frère du consul, passer du côté de
César et adhérer à son opinion (19). Les
véritables amis du consul, disait-on tout bas,
devaient s'y réunir ; c'était le seul moyen de
le sauver des vengeances terribles qu'allait lui
préparer l'excès de son zèle pour le
bien de l'Etat.
Au milieu de la
consternation de ses partisans, Cicéron interrompit la
délibération et prit la parole sous
prétexte de résumer les débats, mais en
réalité pour tenter si, plus heureux que
Calulus, il ne parviendrait pas à rallier ses amis
prêts à l'abandonner. La responsabilité
qui devait peser sur les juges de Lentulus étant le
principal motif pour entraîner le sénat à
l'opinion de César, c'est cet argument que
Cicéron s'efforce de combattre d'abord. Il semble
accepter pour lui seul cette responsabilité si
terrible, il se dévoue pour tous ; mais cependant il
montre à ses timides collègues qu'ils se sont
déjà compromis, et qu'un pas en arrière
les couvrirait de honte sans les sauver. «Je vois,
pères conscrits, dit-il, tous les yeux tournés
vers moi. Je vous vois préoccupés non seulement
du danger de la république, mais encore de ceux qui me
menacent moi-même. Dans un si funeste moment, cet
intérêt m'est bien doux sans doute ; mais, par
les dieux immortels ! oubliez-moi, ne pensez qu'à vous
et à vos enfants. Si votre consul, par une
espèce de fatalité, doit être
condamné à toutes les douleurs, à toutes
les tortures, n'en doutez pas, il saura les supporter avec
courage, avec joie même, pourvu que son sacrifice
conserve au peuple romain l'honneur et la liberté...
Pourquoi craindrais-je la mort ? peut-elle être
honteuse pour un homme d'honneur ? prématurée
pour un consulaire (20) ? affligeante pour un
philosophe ? Je n'ai point cependant un coeur de fer (21), pour demeurer
insensible à la douleur d'un frère
chéri, aux larmes de tous ces amis qui m'entourent
(22). Mon esprit
me montre dans ma maison ma femme et ma fille en proie aux
angoisses de la terreur, et mon fils, enfant, tendre otage de
mon consulat auprès de la république.
J'aperçois d'ici mon gendre (23) attendant avec
anxiété l'issue de cette journée. Tant
d'objets si chers m'émeuvent sans doute, mais ils
m'excitent aussi à les sauver avec vous,
dussé-je périr, seule victime pour le salut
commun. Donc, pères conscrits, la fortune de la
république est entre vos mains. Vous voyez la
tempête qui la menace. Vous n'avez point à vous
prononcer sur l'attentat d'un Tib. Gracchus, qui voulut
être deux fois tribun ; d'un C. Gracchus, qui effrayait
les possesseurs du domaine public ; d'un L. Saturninus, qui
assassina son adversaire politique (24). Vous tenez
prisonniers ces hommes qui sont demeurés à Rome
pour l'incendier, pour vous égorger tous, pour ouvrir
nos portes à Catilina. Leurs lettres, leurs sceaux
sont dans vos mains ; vous avez reconnu leurs
écritures, vous avez entendu leurs aveux. Ils
appellent les Allobroges, ils veulent soulever les esclaves,
ils tendent les bras à Catilina. Les témoins
vous le disent, les accusés le confessent.
Vous-mêmes, vous avez déjà plusieurs fois
exprimé votre conviction d'une manière
solennelle ; d'abord lorsque vous m'avez voté en
termes exprès des remercîments publics pour
avoir découvert une conjuration exécrable ; -
puis lorsque vous avez contraint P. Lentulus à se
démettre de la préture ; - lorsque vous l'avez
mis, lui et ses complices, en état d'arrestation ; -
lorsque vous avez décrété des actions de
grâce publiques en mon nom, honneur qu'aucun magistrat
n'avait encore obtenu que sur le champ de bataille ; enfin,
hier même, lorsque vous avez décerné une
récompense publique à Volturcius et aux
députés des Allobroges (25)».
Après avoir établi de la sorte d'une
manière détournée les engagements, et,
si l'on peut s'exprimer ainsi, la solidarité du
sénat, le consul passe à l'examen des deux avis
en délibération. Sans se prononcer ouvertement,
sans attaquer de front la proposition de César, il
s'attache à en faire ressortir tous les
inconvénients, montrant à la fois qu'elle n'a
que l'apparence de la douceur, et qu'elle serait pour le
sénat un aveu de faiblesse plus dangereux que la
sévérité même.
«Deux opinions vous ont été soumises :
l'une, celle de D. Silanus, qui a proposé de punir de
mort ces grands coupables ; l'autre, celle de C.
César, qui, écartant la peine de mort, accumule
contre eux toutes les rigueurs des autres châtiments.
L'un et l'autre ont parlé comme il convenait à
leur haute position, à la gravité des
circonstances. Celui-ci pense qu'on aurait tort de laisser
vivre un moment des hommes qui ont médité notre
mort, qui ont voulu détruire la république et
anéantir le nom romain. A de tels coupables il pense
qu'on doit appliquer une peine dont plusieurs fois
déjà dans cette république on a
châtié les mauvais citoyens. - Celui-là
pense que les dieux immortels n'ont pas voulu que la mort
fût un supplice ; suivant lui, c'est une loi de nature
; c'est le terme de toutes les misères, le repos
final. La prison, la prison perpétuelle lui semble
inventée tout exprès pour punir un crime
abominable. Il veut qu'on distribue les coupables dans des
mnicipes. Mais y a-t-il bien songé ? Dans
l'exécution de la sentence je vois ou une injustice ou
de grandes difficultés.
En effet, contraindra-t-on
les municipes à encourir la grave
responsabilité attachée àla garde de ces
ennemis publics ? Demandera-t-on le consentement des
autorités locales, et s'exposera-t-on à un
refus (26) ?
Quelle que soit votre décision, pères
conscrits, j'espère que je pourrai la faire
exécuter. Mais je continue l'examen de la sentence
proposée par César. Il ajoute des peines
rigoureuses contre les magistrats des villes qui briseraient
les fers des prisonniers ; leur détention doit
être accompagnée de rigueurs effrayantes ;
enfin, pour ces hommes affreux, il propose une sentence digne
de leur crime. Il interdit de jamais demander au sénat
ou au peuple un adoucissement à leur peine ; il leur
ôte jusqu'à l'espérance, cette
dernière consolation dans les misères de
l'humanité ; leurs biens, il les confisque ; la vie,
c'est là tout ce qu'il leur laisse, persuadé
sans doute qu'en la leur ôtant il les
délivrerait de toutes les souffrances de l'âme
et du corps. Il ne veut pas qu'une seule douleur termine la
peine due à leurs forfaits. Nos ancêtres, pour
inspirer aux méchants une terreur salutaire, leur
montraient dans les enfers les châtiments
réservés aux crimes, car ils croyaient que,
sans ce terrible avenir, la mort n'avait en soi rien qui
pût nous effrayer (27). Choisissez,
pères conscrits, entre les deux opinions. Si vous
adoptez elle de C. César, comme la ligne politique
qu'il suit est celle qu'on appelle populaire,
peut-être pour faire exécuter un décret
dicté par lui, aurai-je moins à craindre les
mouvements populaires (28). Si le sentiment de
Silanus vous semble préférable, je ne crois pas
que votre sentence me donne plus d'affaires. Au reste, mes
dangers personnels ne doivent pas être mis en balance
avec l'utilité publique. L'opinion de César ne
dément point sa haute position, ni le sang illustre
dont il sort. Elle nous est un gage de son dévouement
constant à la république. Il nous a
montré la différence qu'on doit faire entre la
légèreté des harangueurs et une
politique vraiment populaire, je veux dire uniquement
dévouée au salut du peuple. De ces hommes qui
se disent populaires aussi, plusieurs sont absents
aujourd'hui, comme il me semble, sans doute parce qu'ils se
font un scrupule de délibérer lorsqu'il s'agit
de la tête de citoyens romains. Mais hier ils
ordonnaient l'arrestation de citoyens romains, ils
décrétaient des supplications solennelles en
mon honneur, ils accordaient de grandes récompenses
aux dénonciateurs. Peut-on douter de ce que pensent
sur toute l'affaire ceux qui ont voté la prison pour
l'accusé, des actions de grâce au magistrat, des
récompenses au dénonciateur (29) ?
Sans doute César
n'ignore pas que la loi Sempronia concerne les citoyens
romains ; mais il sait aussi que l'ennemi public n'est plus
un citoyen (30).
Il n'a pas oublié sans doute que l'auteur même
de cette loi fut châtié par l'ordre du peuple
(31) pour attentat
contre la république. Non, César n'invoquera
pas les sympathies populaires en faveur de P. Lentulus, qui a
conspiré avec tant de méchanceté la
ruine et l'incendie de Rome. Aussi, malgré sa douceur
et son indulgence, il n'hésite point à
condamner P. Lentulus à une prison perpétuelle
; il veut qu'à l'avenir personne ne puisse chercher
à se faire une renommée populaire en
adoucissant sa position. Il veut que ses biens soient
confisqués pour ajouter à son supplice la
misère et toutes ses horreurs.
Si vous approuvez cet
avis, je me présenterai au peuple sous les auspices
d'un homme qui lui est cher (32) ; si vous adoptez au
contraire le sentiment de Silanus, ne croyez pas qu'il me
soit difficile de défendre votre arrêt, de me
défendre moi-même du reproche de cruauté.
Je prouverai que cette sentence est en effet la plus douce
des deux, et qu'on ne peut être cruel en punissant un
forfait abominable».
Je ne suivrai pas
l'orateur dans la suite de ce discours, où il revient
avec une nouvelle force sur le tableau des horreurs où
Rone aurait été plongée si le complot
n'eût point été découvert.
«Que penseriez-vous, s'écrie-t-il, d'un
père de famille qui trouvant sa femme et ses enfants
égorgés par son esclave, sa maison
brûlée, ne condamnerait pas l'assassin au
supplice le plus rigoureux ? L'appelleriez-vous
clément et miséricordieux ? Non, vous le diriez
plutôt cruel et inhumain. Pour moi, il aurait un coeur
de pierre, celui qui ne chercherait pas à soulager sa
douleur et ses tourments par la douleur et les tourments du
coupable (33)».
Il était important
de rassurer les sénateurs sur la situation de la ville
et sur les bruits répandus dès la veille, d'une
tentative pour délivrer les prisonniers. Le consul
rappelle les mesures de prudence adoptées par lui
depuis la découverte de la conjuration ; les troupes
mises sous les armes, les chevaliers en corps réunis
autour du temple où siège le sénat ;
tous les honnêtes gens prêts à voler au
secours de la patrie. «Que l'on cesse donc de
s'inquiéter, dit-il, si quelques misérables,
clients de Lentulus, courent les tavernes, prêchant
l'émeute à la populace et aux esclaves. Nul
danger sur ce point. Les gens dont on nous menace aiment
l'oisiveté d'une grande ville. Toute cette foule qui
fréquente les tavernes ne sera pas pour ceux qui les
veulent brûler (34).
Vous le voyez,
pères conscrits, les forces du peuple romain ne vous
manquent point dans le danger, vous ne manquerez point
à vos devoirs envers le pays. Vous avez un consul
providentiellement échappé aux embûches,
aux poignards de vos ennemis. Tous les ordres de l'Etat se
serrent autour de vous, oubliant pour la première fois
leurs discordes devant le danger commun. Jamais vous n'avez
été plus forts, jamais vous n'avez
été plus en mesure de faire un exemple qui
mette pour toujours un terme aux entreprises, aux
pensées même, contre la république.
Assiégée par les torches et les poignards d'une
conjuration impie, la patrie vous tend les bras ; elle vous
implore et vous adjure de la sauver, de défendre votre
Capitole, vos autels domestiques, le feu de Vesta, vos
temples, vos murs, vos maisons (35)».
Puis, revenant aux dangers
qu'il court lui-même, aux vengeances qui le menacent
dans un avenir rapproché : «La mort n'est rien,
s'écrie-t-il, auprès de cette gloire unique que
je dois à vos décrets». Transporté
par son orgueil naïf, le consul n'hésite point
à se comparer aux Scipions, à Paul-Emile,
à Marius, à Pompée, dont les exploits,
dit-il, n'ont eu d'autres bornes que celles que le soleil met
à son cours. «Sans doute auprès de ces
grands hommes la postérité me réservera
une place, à moins qu'il ne soit plus grand de
conquérir des provinces qui nous peuvent
échapper, que de conserver à nos guerriers
absents une ville où ils puissent rentrer en triomphe
(36)».
La péroraison nuit un peu, ce me semble, à
l'effet d'un discours qui débutait adroitement, mais
l'orateur ne sait pas résister au plaisir de parler de
soi, et sans s'en apercevoir il se laisse entraîner au
delà du but qu'il s'est proposé. Il voulait
raffermir ses collègues, les rassurer contre les
suites du coup d'Etat qu'il leur conseille, et
lui-même, saisi d'un attendrissement subit, il leur
montre un avenir effrayant, comme s'il avait voulu ajouter
par son éloquence une nouvelle force à la
froide argumentation de César.
«Si mon espoir,
dit-il, est trompé ; si les méchants
l'emportent, pères conscrits, je vous recommande mon
fils unique, à qui suffira pour héritage le
souvenir que vous lui conserverez d'un père qui s'est
sacrifié pour la patrie. Votre salut, celui du peuple
romain, vos femmes, vos enfants, vos autels et vos foyers,
votre empire, votre liberté, le salut de l'Italie,
tels sont les intérêts sur lesquels vous
délibérez, pères conscrits, et qui
réclament ce courage dont vous venez de donner des
preuves. Vous avez un consul qui ne balancera jamais à
obéir à vos décrets, et qui, tant qu'il
vivra, saura les faire respecter (37)».
Cicéron s'était fait illusion sur le pouvoir de
son éloquence. Dans une assemblée telle que le
sénat, il fallait quelque chose de plus que des
phrases sonores pour entraîner des hommes
habitués à calculer froidement leurs
intérêts. Déjà l'on ne craignait
plus ni les sicaires de Lentulus, ni les bandits de Catilina,
mais le chef du parti populaire avait fait comprendre la
grandeur de la responsabilité que le sénat
allait encourir. Cicéron avait bien répondu aux
paroles de César, mais il n'avait pas osé
descendre jusqu'au fond de sa pensée. Personne n'avait
voulu poser la question véritable, et chacun ne la
connaissait que trop bien. Pour le sénat, il
s'agissait de conserver ou d'abdiquer le pouvoir. Voulait-il
maintenir l'autorité qu'il avait reçue du
dictateur, il fallait appliquer aux conjurés les lois
cornéliennes, c'est-à-dire les punir de mort.
Mais le moment où la constitution de Sylla venait
d'éprouver de si vives atteintes, où la faction
populaire avait repris des forces et de l'audace,
était-il bien choisi pour une sentence rigoureuse qui
allait rappeler l'époque abhorrée des
proscriptions ? D'un autre côté, se contenter de
l'exil ou de la détention des coupables,
c'était avouer publiquement sa faiblesse,
c'était déchirer la constitution
cornélienne et s'abandonner pour l'avenir à la
merci du parti démocratique. Quant à la
perpétuité de la peine proposée par
César, nul n'y croyait sérieusement, et des
hommes qui dans la même année avaient vu Cinna,
Marius et Sylla proscrits et persécuteurs tour
à tour, connaissaient trop bien la valeur des
décrets éternels dans un temps de
révolutions.
La crainte allait faire passer la majorité à
l'opinion de César, lorsqu'un nouvel orateur vint
changer toute la face de la discussion. C'était M.
Porcius Caton, alors tribun du peuple désigné.
Seul au milieu de la corruption universelle, il rappelait les
vertus romaines du premier âge de la république
; son austérité, la rude franchise de son
langage, lui avaient fait beaucoup d'ennemis, mais ceux
même qu'il combattait le plus habituellement ne
pouvaient lui refuser leur estime. Adversaire
déclaré de toutes les innovations populaires,
aussi entêté de ses préjugés
oligarchiques que passionné pour la gloire et la
prospérité de son pays, il n'était
aimé ni du peuple ni du sénat, car la
rigidité de ses principes n'admettait aucune de ces
concessions, aucun de ces ménagements au prix desquels
l'oligarchie se soutenait au pouvoir. Les moeurs de Caton
étaient un reproche vivant aux moeurs de ses
collègues, et lorsqu'il se levait pour prendre la
parole, ils éprouvaient une espèce de terreur,
car sa voix était comme le cri de leur
conscience.
Jusqu'alors les orateurs qui avaient opiné pour la
proposition de Silanus, ou pour mieux dire ceux qui avaient
voté la mort des conjurés, ne s'étaient
exprimés qu'avec une certaine réserve, se
tenant pour ainsi dire sur la défensive. A l'exemple
du consul, ils cherchaient à réduire le nombre
des coupables, comme pour se dissimuler à
eux-mêmes la gravité des circonstances. Les
dépositaires du pouvoir se justifiaient devant
l'opposition. Caton comprit que le moment était venu
de changer les rôles, ou plutôt, incapable de
crainte lui-même, il vit le danger où il
était, et, suivant son usage, s'y précipita
sans balancer. Il flétrit d'abord le changement de
Silanus, qui se rétractait après avoir fait
preuve un instant de courage, puis il attaqua corps à
corps l'orateur qui, pour conserver sa popularité,
compromettait le salut de la république. Il reprocha
sévèrement à César son indulgence
pour les hommes les plus criminels, et traita son feint
respect pour les lois d'un calcul égoïste de
politique ; il demanda même si ce n'était point
une preuve de sa connivence avec les conjurés.
Déjà les rumeurs répandues par Catulus
et par Pison avaient eu dans Rome un long retentissement ;
les moeurs de César et son ambition
immodérée prêtaient un texte facile
à une accusation qui, on doit l'avouer, n'était
pas dénuée de vraisemblance. César fut
bientôt forcé de se défendre.
Le discours de Caton, tel
qu'on le lit dans Salluste, n'est sans doute exactement
rapporté ni pour le fond ni pour la forme.
Placé entre son respect pour son bienfaiteur et son
hypocrite admiration pour Caton, ce modèle des vertus
antiques, qu'il oppose sans cesse aux vices de son temps,
l'historien romain ne mériterait en cette occasion que
peu de confiance, alors même qu'il ne serait pas
contredit par le témoignage impartial de Plutarque.
Salluste se tait sur les accusations et sur les dures
personnalités que César eut à subir. Le
discours qu'il met dans la bouche de son héros, bien
que tronqué sans doute et dépouillé de
sa rudesse originelle, demeure cependant encore un monument
que l'histoire ne peut négliger, et il offre plus d'un
passage où l'on croit reconnaître Caton (38).
«Pères conscrits, dit-il, vous discutez
froidement la peine due à ces hommes qui ont
conspiré la ruine de leur patrie, la mort de leurs
pères ; mais le danger présent nous avertit de
nous mettre en défense contre eux, plutôt que de
délibérer sur le châtiment qu'ils
méritent. Poursuivez les crimes ordinaires alors
qu'ils sont consommés. Attendrez-vous que ces hommes
soient maîtres de la ville pour les juger ? Ce ne sont
point des accusés que je vois ici, mais des ennemis
dont il faut se défaire. Oui, par tous les dieux, je
vous appelle aux armes, vous tous à qui vos palais,
vos villas, vos statues et vos tableaux ont toujours
été plus chers que la patrie. Si vous voulez
conserver ces objets de votre culte, si vous tenez à
ce doux repos, si nécessaire à vos
voluptés, réveillez vous, il le faut, et
défendez la république. Il ne s'agit pas des
tributs ni des injures de vos alliés, c'est votre
liberté qui est en péril, c'est votre
vie.
Souvent, pères conscrits, j'ai parlé dans cette
enceinte du luxe et de l'avarice de nos citoyens. Ma
franchise m'a fait beaucoup d'ennemis, car moi qui ne me
pardonnerais pas une pensée même contre les
lois, vous savez que je ne pardonnais pas aux méfaits
de ce temps dépravé. Vous faisiez peu de cas de
mes paroles, mais la république était forte, et
sa force excusait votre insouciance. Maintenant la question
n'est plus de savoir si nous aurons de bonnes ou de mauvaises
moeurs, si l'empire romain aura plus ou moins
d'étendue ou de splendeur, il s'agit de savoir si ce
que nous possédons nous doit demeurer ou bien
appartenir à l'ennemi.
Et l'on me parle de pitié, de clémence ! En
vérité, il y a longtemps que nous avons
oublié le vrai sens des mots. Prodiguer le bien
d'autrui, aujourd'hui c'est libéralité ; audace
dans le crime, c'est courage. Voilà où nous en
sommes. Eh bien ! puisque telles sont les moeurs du temps,
que l'on soit libéral des richesses de nos
alliés ; que l'on soit clément pour les voleurs
du trésor public ; mais au moins ne laissons pas faire
des libéralités de notre sang, et pour
épargner quelques scélérats ne
consentons point à la perte de tout ce qu'il y a de
gens de bien. C. César vient de disserter en bon
orateur sur la vie et sur la mort ; apparemment parce qu'il
regarde comme faux tout ce qu'on dit des enfers. Il ne croit
pas qu'il y ait des chemins différents au delà
de cette vie pour les bons et les méchants, et que ces
derniers habitent des lieux sombres, incultes, horribles,
épouvantables. Il veut que les biens de ces hommes
soient confisqués, et eux-mêmes, qu'on les garde
en prison dans des municipes, craignant sans doute
qu'à Rome, leurs complices ou bien la multitude
achetée ne les enlève de force, comme s'il y
avait à Rome seulement des traîtres et des
scélérats, comme si un coup de main audacieux
n'était pas plus praticable là où les
moyens de défense sont moindres. S'il redoute quelque
danger de leur part, son projet est illusoire ; si au milieu
de la terreur générale lui seul est
rassuré, c'est pour moi et pour vous un motif de
craindre davantage».
Voilà une vive allusion à la complicité
de César échappée à la prudence
de Salluste ; nous retrouverons un trait semblable à
la fin du même discours ; mais une attaque directe
convenait davantage au caractère de Caton, et il est
probable qu'il s'exprima plus clairement encore.
Après avoir montré que la faiblesse du
sénat ne pourrait qu'accroître les forces et
l'audace des conjurés en armes dans l'Etrurie, et que
la clémence, dans une conjoncture si grave, ne serait
qu'une preuve de lâcheté, l'orateur invoque les
anciens exemples de la sévérité des
magistrats, et rappelle la rigueur de Manlius Torquatus, qui
fit trancher la tête à son fils pour avoir
combattu contre ses ordres.
«Et vous,
s'écrie-t-il, vous hésitez à prononcer
la mort contre les plus cruels parricides ! Vous
épargneriez un Lentulus, un monstre odieux à
tous les hommes ? Vous seriez touchés de la jeunesse
d'un Céthégus, qui pourtant a
déjà fait deux fois la guerre à son pays
? Si dans notre situation, pères conscrits, il nous
était permis de faire une faute, j'attendrais que
l'expérience vînt vous éclairer, car je
n'espère pas vous convaincre. Mais nous sommes
pressés de toutes parts. Catilina, avec son
armée, nous tient l'épée sur la gorge ;
dans nos murs sont d'autres ennemis ; nous ne pouvons rien
préparer, rien décider en secret (39). Hâtons-nous
donc d'en finir. Voici mon avis : Attendu qu'un complot
exécrable, tramé par quelques citoyens pervers,
a mis la république dans le plus grand danger ;
attendu que d'après la déposition de T.
Volturcius et des députés allobroges, et
d'après leur propre aveu, ils ont été
convaincus d'avoir projeté des meurtres, des incendies
et d'autres attentats affreux et abominables contre leurs
concitoyens, je vote pour qu'ils soient traités comme
les coupables de faits capitaux manifestes, et qu'ils soient
livrés au supplice suivant la coutume de nos
ancêtres (40)».
Aussitôt que Caton
se fut assis, César répondit avec
vivacité aux accusations directes ou
détournées qu'on venait de lancer contre lui.
Caton répliqua à son tour, et pendant quelques
moments les deux adversaires échangèrent les
récriminations et les personnalités les plus
offensantes. Au milieu de ce débat, survint un
incident ridicule, que je ne rapporterais point s'il ne
peignait le caractère de César. Cet homme
extraordinaire pendant toute sa vie mena toujours de front
les affaires et ses plaisirs. Sa passion pour les femmes
aurait pu l'entraîner à de grandes fautes dans
une autre société que la sienne ; mais,
à Rome, peu de femmes prétendaient à
exercer une influence politique, et la plupart ne cherchaient
dans l'amour qu'une satisfaction des sens. Une seule femme,
mais une Grecque, domina César ; pour
Cléopâtre il oublia les vaincus de Pharsale se
ralliant en Afrique, l'Asie en armes, Alexandrie
insurgée Rome livrée aux factions. Il avait
alors cinquante-trois ans ; lorsqu'il jugeait les
conjurés, il n'en avait que trente-huit. Servilia,
femme de Silanus, et soeur de Caton, était sa
maîtresse. Tandis que Caton l'accusait au milieu du
sénat, on le vit recevoir un billet et le lire
à la dérobée en se cachant d'un pan de
sa toge. Ce billet était de Servilia, et sans doute il
n'y était point question de politique. «Qui
sait, s'écria Caton, s'interrompant tout à coup
; qui sait si cette lettre que César vient de
recevoir, n'est pas émanée de quelqu'un des
conjurés. Elle prouve peut-être cette
correspondance coupable que tant d'indices me
révèlent ; consul, ordonnez qu'on lise tout
haut ce billet mystérieux». La situation
était délicate, et les moeurs romaines
n'avaient rien de chevaleresque. César tendit la
lettre à Caton qui, d'un coup d'oeil, reconnut la main
et le sceau de sa soeur. «Tiens, ivrogne (41) !» lui dit-il
en jetant la lettre à ses pieds ; et il continua son
discours.
César était
trop puissant pour que les accusations de Caton pussent le
perdre : mais le chef d'une opposition obligé de se
défendre au moment où il presse le plus
vivement ses adversaires, a perdu bientôt la plus
grande partie de ses avantages. L'assemblée,
émue par les reproches de Caton,
entraînée par son audace et par le spectacle
d'une lutte où le champion des priviléges
oligarchiques semblait avoir le dessus, recouvra son
énergie, et le consul n'eut plus qu'à presser
la délibération pour recueillir les fruits de
la victoire. Il se hâta de mettre fin aux
personnalités échangées entre les deux
orateurs, et pour reconnaître le courage de celui qui
l'avait si bien secondé, autant que pour punir la
faiblesse de Silanus, il proposa à l'assemblée
de rendre son sénatus-consulte conformément au
vote de Caton (42). C'était
l'honneur le plus grand que le sénat pût
accorder à un de ses membres. En revanche, Caton
introduisit dans le considérant de cet acte, qu'il dut
probablement rédiger lui-même, les éloges
les plus flatteurs pour la vigilance et le patriotisme du
consul.
Il essaya d'un autre
côté de compromettre son ennemi et d'attacher
son nom à la sentence, en ajoutant au supplice capital
la confiscation des biens proposée tout à
l'heure par César. La discussion se ranima sur cette
question avec un redoublement de vivacité ;
César se plaignit qu'après avoir rejeté
l'avis le plus modéré, on allât y
chercher une disposition rigoureuse pour aggraver encore un
arrêt qui n'était que trop sévère.
Il appela les tribuns à son aide, et les adjura de
faire usage de leur intercession. Au milieu d'un tumulte
effroyable, il continua seul de protester avec la plus grande
énergie, sans qu'un seul des tribuns se levât
pour le seconder (43).
Le désordre
était à son comble dans le temple ; au dehors
régnait une agitation non moins vive. Tandis que la
populace, excitée par les affranchis et les esclaves
des conjurés, s'attroupait confusément et
faisait entendre des clameurs séditieuses, la phalange
dévouée qui entourait le temple de la Concorde,
et surtout les riches chevaliers que la peur du pillage avait
fait courir aux armes, demandaient à grands cris la
mort des coupables, prêts eux-mêmes à en
faire justice, si le consul voulait employer leur bouillante
fureur. Tous les incidents de la séance leur
étaient déjà connus, et les
protestations de César avaient exaspéré
ces hommes armés et prêts à tout
entreprendre. Leurs menaces retentissant jusque dans la
curie, épouvantèrent sans doute les tribuns et
les rendirent sourds aux prières et aux vives
interpellations de César, qui s'opiniâtrait dans
sa résistance désespérée. Les
débats avaient occupé toute la durée
d'un jour d'hiver ; la nuit approchait. Pressé de
terminer une lutte dont la prolongation pouvait rendre la
victoire incertaine, le consul céda sur un point
auquel il n'attachait qu'une médiocre importance ; il
consentit à ce que la confiscation ne fût point
mentionnée dans le sénatus-consulte (44), et aussitôt il
se hâta de lever la séance, vraisemblablement
avant que les tribuns eussent pris un parti au sujet des
protestations de César.
Si l'on en croit
Suétone, dont le témoignage semble porter le
caractère de la vérité, les chevaliers
de garde autour du temple n'attendirent pas que le consul
eût congédié le sénat, pour
envahir en armes l'enceinte de ses
délibérations (45). Une troupe de
furieux entoura César l'épée à la
main, la menace à la bouche. Déjà les
sénateurs qui siégeaient auprès de lui
s'écartaient épouvantés. Ni son
caractère de magistrat ni les insignes
vénérés de son sacerdoce ne l'eussent
sauvé peut-être, si quelques hommes courageux,
se serrant autour de lui, ne lui eussent fait comme un
rempart de leurs toges. M. Curion, personnage consulaire bien
connu pour être l'ennemi personnel de César,
n'hésita point à se précipiter au-devant
des poignards et à le couvrir de son corps (46). En ce moment
quelques affidés du consul osèrent, dit-on, lui
offrir de le débarrasser d'un ennemi redoutable ; mais
quand même la crainte de représailles terribles
ne l'eût pas arrêté, Cicéron
respectait le sénat jusque dans la personne de son
adversaire le plus dangereux. Il fit un signe, la foule
menaçante s'écarta, et César put
regagner sa maison, annonçant avec emphase qu'il ne
reparaîtrait plus dans le sénat, jusqu'à
ce que de nouveaux consuls eussent assuré à ses
délibérations l'ordre et la liberté qui
devaient toujours y régner (47).
Cicéron, dès
qu'il eut entre ses mains le sénatus-consulte, ne
perdit pas un moment. Soit qu'il partageât
l'anxiété de quelques sénateurs qui
craignaient qu'une émeute nocturne ne
délivrât les prisonniers, soit, comme il est
plus probable, qu'il ne voulût pas laisser à
César le temps de gagner un tribun et de convoquer les
comices pour le lendemain, il donna l'ordre sur-le-champ aux
triumvirs capitaux de tout préparer pour que la
sentence reçût immédiatement son
exécution. Lui-même, accompagné d'un
grand nombre de sénateurs et d'une troupe de soldats
armés, alla prendre Lentulus sur le mont Palatin, dans
la maison où il était détenu, et le
conduisit au travers de la voie Sacrée et du Forum
dans la prison du Capitole. En même temps les
préteurs y amenaient Céthégus, Gabinius,
Statilius et Céparius, arrêté la veille,
chacun entouré d'une escorte imposante. Toutes les
avenues étaient gardées et le Capitole
était rempli de soldats. Sur le passage des
prisonniers la foule se pressait en silence et saisie
d'horreur. Les jeunes gens surtout, en voyant traîner,
chargés de chaînes, au milieu d'une haie de
piques, ces compagnons de leurs joyeuses orgies, se sentaient
glacés d'épouvante. Ils croyaient, dit
Plutarque, assister à quelque mystère terrible
et suivre la pompe d'un sacrifice qu'on allait offrir aux
divinités inconnues des patriciens (48).
Dans la prison
était un cachot souterrain, enfoncé de douze
pieds au-dessous du sol, qu'on appelait le Tullianum,
parce qu'on en attribuait la construction au roi Servius
Tullius (49).
Longtemps ce fut la seule prison qui existât à
Rome (50). Il
survit encore aujourd'hui à la ruine de tant de
monuments, ouvrages des empereurs. Des pierres énormes
forment ses murailles toujours humides, que couvre une
voûte basse et épaisse. Là, le jour
n'arrive jamais, l'air ne s'y renouvelle qu'avec peine. En ce
lieu les bourreaux attendaient leurs victimes, qu'on leur
livra successivement. Lentulus fut poussé le premier
dans le Tullianum et aussitôt étranglé ;
ses quatre complices, l'un après l'autre, subirent le
même supplice, et lorsque le dernier fut mort, le
consul, qui avait peut-être présidé
l'exécution en personne (51), descendit au Forum
avec son cortège de soldats et de sénateurs, et
se montra à la multitude qui attendait en silence le
dénoûment de cette lugubre tragédie :
«Ils ont vécu !» dit-il.
Aussitôt un long cri de surprise retentit dans toute la
place. Ceux des conjurés qui avaient jusqu'alors
conservé l'espoir de délivrer les prisonniers,
les esclaves et les artisans qui leur avaient promis leur
secours, tremblant pour eux-mêmes, ne songeaient plus
maintenant qu'à se cacher. Toute la populace,
prête un instant auparavant à briser les portes
de la prison, oublia ses projets séditieux à ce
mot terrible. Ils ont vécu !
répéta-t-elle en applaudissant à la
fermeté du consul, car tout acte de vigueur
enlève l'admiration de la multitude.
Toujours accompagné de son escorte, grossie maintenant
d'une foule de consulaires et de sénateurs,
Cicéron traversa de nouveau le Forum pour regagner sa
maison. Tous ces vieux généraux qui avaient
gagné des batailles, qui avaient étendu au loin
les bornes de l'empire, se pressaient autour de l'orateur,
mais on les remarquait à peine, et on les eût
pris pour ces citoyens prisonniers de guerre qui,
délivrés par la victoire, suivaient avec le
bonnet d'affranchis la pompe d'un triomphateur. Devant chaque
maison brillaient des torches allumées.
Du haut des toits les femmes saluaient leur consul de leurs
acclamations et le montraient à leurs enfants ; de
tous côtés on s'écriait : «Voici le
sauveur de la république ! voici le père de
patrie !» Quelques années plus tard,
Cicéron quittait Rome, tête voilée ; ce
même peuple venait de lui interdire le feu et l'eau, et
ce qu'on appelait, le soir des nones de décembre, un
acte de courage et de justice, on le nommait un acte de
tyrannie, un attentat contre les lois.
|
(1) Cic.,
Cat., IV, 5.
|
|
(2) On a conclu
qu'il n'assista pas à la séance, de ce
qu'il n'est pas nominé parmi les consulaires qui
prirent part au jugement des conjurés (Cic., ad
Att., XII, 21).
|
|
(3) Equitatus
ille, quem ego in clivo Capitolino, te signifero ac
principe (Attico) collocaram (Cic., ad Att., 1,
17).
|
|
(4) Dio
Cass., 37, 35.
|
|
(5) Plin.,
Ep., VIII, 14, p. 19, ed. Bip.
|
|
(6) Post
novam affinitatem, Pompeium primum rogare sententiam
coepit, quum Crassum soleret ; essetque consuetudo, ut
quem ordinem interrogandi sententias consul, kalendis
januariis, instituisset, eum toto anno conservaret
(Suet., Jul., 21).
|
|
(7) Plut.,
Cic., 20.
|
|
(8) Aujourd'hui
même encore, il est rare qu'un Italien prononce le
mot de mort sans y ajouter comme correctif
salute a noi ! Dans quelques ballades corses, j'ai
entendu désigner la mort par ce mot : Ella,
elle. C'est probablement une tradition antique.
|
|
(9) Cic.,
ad Att., XII, 21, 1.
|
|
(10) Voy.
chapitre
7.
|
|
(11) Cfr.
Plut., Cat. Min., 23. - Cic., Pro Sull.,
14.
|
|
(12) On a
tiré un argument singulier contre
l'authenticité de ce discours, de ce qu'il
commence par une phrase en quelque sorte
littéralement traduite d'une harangue de
Démosthène (Dem. p. Chers.). Cela
indique, dit-on, une oeuvre de rhéteur
préparée dans le loisir du cabinet. J'avoue
que je ne comprends pas la force de l'objection. De ce
qu'un député français aurait
allégué dans un discours un aphorisme
politique de Pitt ou de Fox, devra-t-on en conclure,
quelques siècles après, qu'il n'a pas
prononcé ce discours ? César, comme tous
les orateurs de son temps, avait beaucoup
étudié Démosthène ;
c'était assurément la meilleure
autorité à citer dans une compagnie dont
presque tous les membres étaient nourris des
auteurs grecs, et qui parlaient le grec aussi facilement
que leur propre langue. On peut juger de l'usage du grec
à Rome par ce seul trait : César,
percé de coups de poignard, disait à Brutus
: «Kai su tecnon !» et presque en même
temps Casca appelait son frère à son
secours en lui criant : «Adelphe boethei»
(Suet., Caes., 82. - Plut., Caes.,
66).
|
|
(13) Bello
macedonico, quod cum rege Perse gessimus... infida atque
adversa nobis fuit. - J'ai tâché de
conserver ces espèces de pléonasmes qui, de
même que beaucoup d'autres passages, indiquent la
négligence d'une improvisation.
|
|
(14) La loi
Porcia, dans celle de ses dispositions qui abolit la
peine des verges.
|
|
(15) Celle
qui permet au citoyen accusé d'un crime capital de
se dérober par l'exil à la peine de
mort.
|
|
(16) Voy.
Guerre sociale, § 17.
|
|
(17) Cfr.
Sall.,
Cat., 51 - Cic.,
Cat., IV, 4, 5. - Plut., Caes., 7.
- Id.,
Cic., 21. - Dio Cass., 37, 36. - App.,
Civ., 2, 6. - Dans le chapitre suivant, j'ai
réuni les observations que m'ont
suggérées le discours de César et
les conjectures qui me paraissent l'expliquer.
|
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(18) Plut.,
Cic., 21. - Id., Cat., 23. -
Caes., 8. - Dio Cass., 37, 36.
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(19) Suet.
Caes. 14.
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(20) Il se
considère déjà comme consulaire, le
terme de ses fonctions devant expirer dans quelques
jours. On a fait de cette expression si naturelle un
argument contre l'authenticité de la
quatrième Catilinaire. On se demande si les
érudits qui font de pareilles objections
comprennent Cicéron !
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(21) Nec
tamen suris Ille ferreus (Cic.,
Cat., IV, 2.)
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(22) Horum
omnium lacrymis a quibus me circumsessum videtis
(Cic.,
Cat., IV, 2). - Voilà encore un de
ces passages qui prouvent à quelques
érudits allemands que la quatrième
Catilinaire est supposée. Le Scholiasta
Gronovianus l'explique ainsi : «Stabant omnes
ante oculos ipsius et flebant, gener Piso, frater Q.
Cicero, Terentia uxor, filia Tullia, filius
Cicero». Là-dessus on s'écrie : Quoi
! tout ce monde dans le sénat ? c'est impossible !
c'est absurde ! - D'accord ; mais c'est le Scoliaste qui
est absurde avec son explication, et qui ne sait ce que
c'est qu'une prosopopée. - Evidemment, il ne
s'agit que des sénateurs amis de Cicéron,
effrayés de la terrible responsabilité
qu'il assumait contre lui. - Mais, poursuit le critique
allemand, ridetis s'applique à tous les
sénateurs ; il faut donc que le faussaire auteur
de la quatrième Catilinaire suppose un
groupe d'étrangers autour du consul. - Je n'ai
rien à répondre à cet argument. Il
est sans exemple, en effet, qu'un orateur s'adresse
à une partie seulement d'une assemblée. Ces
observations si subtiles, on le voit bien, ne viennent
pas d'un pays où le régime
représentatif est en vigueur.
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(23) C.
Calpurnius Piso Frugi, fiancé à Tullia,
fille de Cicéron. On conteste sa présence
dans le sénat. Je répondrai que les termes
mêmes de l'orateur font supposer qu'il était
en dehors du temple. En parlant de son frère
Quintus, il dit fratris praesentis ; quant
à son gendre, il ajoute : exspectans hujus
exitum diei adstat in conspectu meo gener. Calpurnius
était probablement parmi les chevaliers romains
qui entouraient la curie.
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(24) Il fit
assassiner C. Memmius, candidat au consulat, en 654 (voy.
Guerre sociale, p. 59).
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(25) Cic
, Cat., IV, 1, 2, 3.
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(26) Ce
passage est un renseignement précieux sur le
système administratif des Romains. On voit combien
les villes d'Italie étaient encore
indépendantes de la métropole.
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(27) On
peut apprécier, par les discours de César
et de Cicéron, l'état de la religion
à Rome. César, grand pontife, nie
l'immortalité de l'âme avec un laconisme
plus absolu que toutes les déclamations :
Cicéron se contente de rappeler l'opinion ancienne
sur les enfers ; mais on ne sait s'il l'approuve comme
politique, ou s'il la tient pour véritable. La
timidité de sa réponse ferait croire que la
majorité du sénat partageait le
matérialisme de César.
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(28) Cic.,
Cat., IV, 5. - Je conserve en traduisant
l'espèce de jeu de mots qui résulte du
double sens du mot popularis. Ce jeu de mots cache
peut-être une intention profonde, que j'aurai
à faire remarquer tout à l'heure.
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(29) Cic.,
Cat., IV, 5.
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(30) Cfr.
E. A. J. Ahrens, Excurs. ad Cat., IV, p. 214. - La
loi Sempronia, rendue sur la proposition de C. Gracchus,
interdisait à tout magistrat de prononcer une
condamnation capitale contre un citoyen romain, sans
avoir obtenu l'assentiment du peuple. C'est à
cette loi que César faisait allusion en disant que
la loi Porcia et d'autres avaient permis aux citoyens
d'échapper à la peine de mort en s'exilant.
S'il ne l'a pas citée nominalement, c'est, ou
qu'elle était tombée depuis longtemps en
désuétude, ou qu'il ne veut pas, dans
l'intérêt des accusés, rappeler au
sénat une loi introduite dans la constitution par
un homme odieux à ce corps. Au reste, la loi
Sempronia n'avait jamais été formellement
abrogée, et, dans l'opinion des démagogues,
elle était encore existante. Cicéron ne nie
point qu'elle ne puisse être invoquée ; mais
il prétend qu'elle ne peut s'appliquer à la
position des accusés, qui déjà
déclarés ennemis publics, perduelles, ont
par conséquent cessé d'être
citoyens.
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(31) Jussu
populi (Cic.,
Cat., IV, 5). - C'est une fausseté
évidente. C. Gracchus fut mis à mort en
vertu d'un sénatus-consulte. S'il n'était
plus naturel d'attribuer à Cicéron un
mensonge utile, ce serait peut-être le cas
d'entendre le mot populus dans le sens que lui
donnait Niebuhr, c'est-à-dire comme la
réunion des familles patriciennes, dont la plebs
était exclue.
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(32) Dederitis
mihi comitem ad concionem populo carum (Cat., IV,
6). - Nous avons déjà vu
Cicéron empressé de communiquer au peuple
les résolutions du sénat, et lui en
demander en quelque sorte la ratification. Ici encore, il
semble se préparer à le consulter de
nouveau. Cependant il est plus que vraisemblable que
telle ne fut jamais son intention. Il voulait obtenir un
sénatus-consulte, et d'avance il avait
assumé sur lui la responsabilité de son
exécution. Maintenant il s'agissait de tromper ses
adversaires, en leur persuadant que le jugement du
sénat n'était pas définitif, et par
conséquent les empêcher d'élever une
question préjudicielle de la plus haute
gravité, à savoir si le sénat avait
le droit de juger en dernier ressort dans un cas de
Perduellien.
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(33) Cic.,
Cat., IV, 6.
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(34) Id.,
ibid., 8.
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(35) Cic.,
Cat., IV, 9.
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(36) Cic.,
Cat., IV, 10.
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(37) Cic.,
Cat., IV, 11.
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(38) Plutarque
rapporte que le discours de Caton existait de son temps,
et que c'était le seul de ce grand homme qui se
fût conservé (Plut., Cat. min.,
23).
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(39) Il
insinue sans doute que César ou d'autres
sénateurs correspondaient avec les
conjurés.
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(40) Sall.,
Cat., 52.
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(41) Plut.,
Cat. min., 24. - Caton disait, d'ailleurs, que
parmi tous les factieux qui avaient conspiré le
renversement de la république, César seul
était sobre. Le mot ivrogne ne doit donc
pas être pris ici à la lettre. Caton veut
dire sans doute qu'il fallait être étourdi
comme un ivrogne, pour s'occuper d'intrigues d'amour au
milieu de si graves événements.
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(42) Senatus
in Catonis sententiam discessit (Sall.,
Cat., 55). - Cic., ad Att., XII,
21.
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(43) Plut.,
Cic., 31.
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(44) Plut.,
Cic., 21.
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(45) Cela
résulte clairement des expressions mêmes
employées par Suétone. - «Ac ne sic
quidem impedire rem destitit (Caesar) quoadque manus
equitum romanorum quae armata praesidii causa,
circumstabat, immoderatius perseveranti necem comminata
est : etiam strictos gladios usque eo intentans, ut
sedentem una proximi deseruerent.» (Suet.,
Caes., 14.) - Salluste rapporte la même
scène, mais comme ayant eu lieu au sortir du
sénat. - «Adeo ut nonnulli equites romani...
egredienti ex senatu Caesari gladio minitarentur».
(Sall.
Cat., 49.) - Plutarque a suivi la
même version : Caes., 8. - Le récit
de Suétone me parait expliquer mieux la fin
tumultueuse de la séance et l'impossibilité
d'obtenir l'appel au peuple des tribuns
effrayés.
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(46) Plut.,
Caes,, 8.
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(47) Suet.,
Jul., 14.
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(48) Plut.,
Cic., 22.
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(49) Varr.,
de LL., IV, p. 42, ed. Pip.
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(50) Felicia
dicas / Secula quae quondam sub regibus atque tribunis /
Viderunt uno contentam carcere Romam.
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(51) (App.,
Civ. II, 6)
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