L'étude systématique et scientifique de
l'iconographie du roi Jaume Ier le Conquérant (1208-1276)
reste, à notre connaissance, encore à faire
aujourd'hui (*).
Elle supposerait d'arpenter un nombre impressionnant de
musées mais aussi d'espaces politiques, de Montpellier
à Murcie en passant par Majorque, sans compter des
bibliothèques aux quatre coins du monde (par exemple Los
Angeles ou Londres). Elle supposerait aussi d'effectuer un lourd
travail de contextualisation historique, du XIIIe siècle
à nos jours.
Un tel travail n'est pas de notre compétence. Conduits
à rechercher de telles images pour documenter les deux
livres que nous avons consacrés à Jaume Ier (**), nous pouvons
simplement proposer au grand public une galerie de portraits, et
tracer des pistes qui esquissent interprétations ou
problématiques. Ce module se présentera donc sous
deux aspects complémentaires :
- le présent fichier effectuera de brèves synthèses, en suivant une trame globalement chronologique
-
les vignettes qui l'illustrent donneront accès,
lorsqu'on cliquera sur chacune d'entre elles, à de
petites fiches de commentaire, et parfois à des liens
vers d'autres documents sur la toile.
Peut-on connaître l'apparence physique du roi Jaume ?
Avant tout, l'on pourrait se demander si certaines de ces images peuvent constituer des documents authentiques qui nous informent en particulier sur l'apparence physique du personnage. Un texte de Bernat Desclot (A) semble constituer pour cela un point de comparaison pertinent ; il met en exergue la grande taille du roi et un physique avantageux, de type nordique (blond aux yeux clairs). Mais tout dans cette description apparemment fidèle peut aussi être interprété dans une perspective symbolique, comme signe d'élection divine. Ainsi, il faut faire preuve d'une extrême prudence lorsqu'il s'agit d'exploiter l'apparent réalisme de certains documents médiévaux.
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Une première série d'images strictement
contemporaines du roi peut permettre de cadrer le
problème : un sceau datant de sa jeunesse (1229) (1), une
monnaie de billon (2) dont la numismatique ne parvient pas
à préciser la date dans le règne, et un
panneau de bois de Montpellier daté
précisément de 1262 (3). Ces trois images
présentent des caractéristiques physiques communes
: le personnage est imberbe et porte les cheveux mi-longs
retroussés à la hauteur du cou, le panneau de
Montpellier indiquant qu'ils sont blonds. Cette coiffure n'est
pas très originale : on la retrouve sur de nombreux
documents du XIIIe siècle, en particulier, en France, sur
les sceaux de saint Louis.
Le caractère imberbe du personnage peut prendre davantage
à rebrousse-poil tous ceux dont l'image mentale
qu'ils se font de Jaume est influencée par une barbe
omniprésente dans les représentations
postérieures :
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L'absence de barbe sur des objets aussi symboliques que les
sceaux et les monnaies pourrait signifier la jeunesse, mais
même sur les émissions de fin de règne,
Jaume et ses successeurs continuent à se raser de
près. Au final, nous ne pouvons donc pas demander
à la numismatique ou à la sigillographie de
renseignement bien fiable sur ce point.
- Plus significatif peut-être, le personnage de cinquante-quatre ans qui figure sur le panneau de Montpellier est imberbe lui aussi, malgré son âge avancé pour l'époque. Or si l'on considère que dans un contexte laïc et festif, le peintre n'avait pas de raison de se plier à une symbolique particulière, qu'il a eu tout loisir d'observer le royal modèle durant son long séjour dans la ville, et que donc cette peinture est probablement le témoignage le plus réaliste que nous possédions du roi Jaume, il faut bien admettre que ce dernier, en se faisant raser, suivait tout bonnement la mode de son temps... comme saint Louis ou Alfonso X de Castille.
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L'image suivante (4) montre a contrario comment un enlumineur de 1280, qui n'a probablement pas vu le roi Jaume de son vivant, peut le représenter à l'âge de cinquante-huit ans (donc quatre ans après l'image 3) comme un vieillard chenu et barbu. La distance temporelle et des intentions symboliques diverses interdisent dès lors de rechercher dans les représentations posthumes un quelconque mimétisme. Le gisant de Poblet (5) confirme le problème. Seule finalement la photographie de la momie de la tête royale (6) peut constituer un témoignage authentique et nous donner un détail physique supplémentaire, une cicatrice expliquée par une anecdote du Livre des Faits ; mais l'état de cette tête ne permet pas d'apporter une réponse satisfaisante au(x) problème(s) pileux évoqués ci-dessus...
L'iconographie du XIIIe au XVe siècle : la symbolique du pouvoir royal
Pour cesser à présent de couper les cheveux en quatre et progresser un peu dans la problématisation, il faut commencer par rappeler qu'à l'exception de cette dernière photographie, qui constitue un document, toutes les autres oeuvres ont un auteur, artiste ou artisan, commandité ou pas, qui dans tous les cas se sert de l'image comme un vecteur de communication en direction d'un public large ou restreint. Cette image s'intègre donc dans un projet didactique, voire idéologique : on doit alors se demander qui l'a produite, pour qui, et dans quelle intention.
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Le pouvoir politique,
juridique et judiciaire de la royauté
Les premières images qui aient été produites du vivant de Jaume sont celles des sceaux (1) et de la monnaie (2). Elles sont donc directement contrôlées par le pouvoir royal, et signalent son intention de régir tous les espaces de la vie politique, en particulier ceux de la loi, de la justice, des échanges économiques et de la fiscalité. Les signes qu'affiche le roi de sa supériorité sur les autres pouvoirs féodaux, ecclésiastiques et municipaux qui pourraient contester cette prééminence sont traditionnellement la couronne, l'épée ou le sceptre, et le trône ou le dais qui l'isolent du commun des mortels en le surélevant.
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Le pouvoir
militaire
Dans un contexte féodal propice aux rivalités entre grands barons, le roi dispose aussi de la guerre pour canaliser les ardeurs de ses vassaux, surtout en un temps de Reconquête sur les Maures qui promet butin, esclaves et nouvelles terres à se répartir.
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L'élection
divine
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Les peintures et gravures du XIVe au XVIe siècle : l'exaltation de la dynastie catalano-aragonaise
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Les
représentations graphiques de la
lignée
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- celui du rouleau qui de père en fils déroule un fil ininterrompu depuis Guifré le Velu, premier comte de Barcelone, jusqu'au dernier de la ligne directe, Martin l'Humain (16)
- et celui de l'arbre généalogique qui, au contraire du rouleau, détaille tous les enfants, roi après roi (17).
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Le symbole de la dynastie :
le drac alat, ou rat penat
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Pourtant, peut-être parce que le motif du dragon est intimement lié à sant Jordi (saint Georges), patron de la Catalogne, c'est lui qui progressivement s'impose, à côté de l'héraldique traditionnelle des quatre pals de gueules, comme l'un des symboles les plus visibles de la dynastie aragonaise, intimement associé à Jaume, mais aussi récupéré sur les armes des villes les plus liées au Conquérant, au premier rang desquelles se trouve Valence. On le trouve en particulier sur la xylogravure de l'Aureum Opus (19) en 1515 et sur la portada de la première édition de la Chronique de Ramon Muntaner (20).
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Qui est qui ?
Un tel processus d'amalgame a pour fonction évidente de faire rejaillir la gloire du fondateur des royaumes de Majorque et Valence sur ses descendants. Mais l'ambiguïté qui en résulte peut plonger dans l'embarras les chercheurs qui tentent de déterminer, sur une oeuvre du XIVe ou du XVe siècle, qui est le roi effectivement représenté.
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- Une différence d'âge manifeste entre le texte et l'image (21)
- L'existence d'oeuvres postérieures reproduisant le même modèle iconographique mais associées à des rois différents (22)
- L'existence d'une série de portraits de rois différents mais non explicitement identifiés (23)
Toutes ces représentations médiévales entrent en tout cas dans le même cadre idéologique : il s'agit pour la royauté, qui tente de sortir peu à peu du modèle féodal, d'utiliser consciemment la force suggestive de l'image pour faire admettre, au détriment de ses contre-pouvoirs, l'évidence de son ancienneté, de sa légitimité et au total de sa prééminence. Mais ce n'est que peu à peu que le modèle monarchique s'est imposé dans la péninsule ibérique, au terme d'un processus aussi laborieux qu'en France, et qui parvient à un point d'équilibre avec l'alliance des couronnes d'Aragon et de Castille sous les Rois Catholiques, puis avec Charles Quint au début du XVIe siècle.
Un bon catholique enrôlé dans la Contre-Réforme (du XVIe au XVIIIe siècle)
Le roi Jaume ayant alors fini de rendre de bons et loyaux services à une monarchie centralisatrice en cours d'installation, il continue pourtant à faire de l'usage, en se faisant réquisitionner par l'Eglise dans une croisade d'un nouveau genre, non plus contre les Maures, mais cette fois contre le monstre de la Réforme et du schisme dans la chrétienté.
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C'est évidemment le moment de rappeler, sur des tableaux religieux ou des retables de chapelles, quelques-uns des traits qui en son temps ont manifesté son intense foi religieuse : la Reconquête, évidemment (26), mais aussi sa fréquentation des saints (24, 25, 26) et sa participation à la fondation d'ordres religieux (25), d'églises et de monastères. En démontrant qu'il était un bon catholique avant la lettre, la Contre-Réforme tente de s'en faire un champion. L'heure est même à la demande de canonisation de la part d'un de ses descendants, sur l'affirmation de miracles supposés, mais la tentative avorte logiquement, l'Eglise ayant gardé le souvenir de fredaines sentimentales réitérées et d'excommunications qui faisaient un peu tache dans le tableau édifiant...
La Renaixença et l'essor du mythe (XIXe et XXe siècles)
Les combats du Moyen Âge et de l'âge baroque étant révolus, on aurait pu croire que le roi Jaume allait enfin jouir d'une retraite bien méritée... Mais deux révolutions majeures au XIXe siècle l'ont conduit à reprendre plus que jamais du service : la révolution politique qui, en voyant les peuples prendre leur revanche sur les systèmes centralisateurs, a démultiplié les espaces de décision, et une révolution technologique qui a mis en deux siècles à la portée de tous des médias autrefois réservés à l'élite. Quelle place a bien pu prendre notre roi médiéval dans ce vent de modernité ?
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Lithographies
A la fin du XVe siècle, l'invention de l'imprimerie avait déjà élargi considérablement le cercle des lecteurs, et mis à la disposition de bien des érudits les premiers travaux de l'historiographie hispanique. Mais le XIXe siècle accentue largement cette diffusion, grâce en particulier à la fabrication d'un papier bien moins coûteux, et en faisant cette fois la part belle à l'image autant qu'au texte, puisque de nouveaux procédés de reprographie donnent aux dessinateurs et aux lithograveurs un espace que les anciennes xylographies ne leur avaient pas permis d'occuper pleinement.
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Grandes
compositions épiques
Le livre n'est pas le seul média à promouvoir cette toute nouvelle image non seulement du conquérant, mais aussi du fondateur des royaumes de Majorque et de Valence, c'est-à-dire du lointain créateur des autonomies régionales actuelles en Espagne. Les vicissitudes politiques ont fait sortir ses représentations des palais royaux et des églises, et c'est désormais dans les Corts, Ajuntaments, Consells et autres Parlaments que trône sa grande taille.
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Statues
commémoratives
Les espaces publics eux aussi ont contribué à populariser l'image du guerrier et du législateur. A la faveur de restructurations radicales dans l'urbanisme (destruction des anciennes murailles, ouvertures de places et de larges avenues), les instances de décision municipales ont commandé à des artistes monumentaux un assez grand nombre de statues commémoratives.
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Bandes dessinées
et livres pour enfants
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Resterait à étudier les variations de l'iconographie du roi Jaume dans les nouveaux espaces audio-visuels des dessins animés et des fictions télévisées (en attendant les jeux vidéo ?). Mais ceci nous entraînerait sur bien d'autres pistes : nous nous contenterons pour l'instant de feuilleter la multiplicité des images fixes que nous a léguées l'Histoire, et d'espérer que la célébration du huit centième anniversaire de la naissance du roi Jaume (1208-2008) donnera une nouvelle impulsion à de nouveaux talents.
© Agnès Vinas pour tous les textes de ce module et
pour certaines des images. Cf les fiches particulières de
chaque document pour tous renseignements
complémentaires.
Mise en ligne le 3 juillet 2008.
Bibliographie
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(*) Un bon point de départ est constitué par
l'article de Miguel Bennàsar Alomar et alii,
« Arte y comunicación desde la
iconografía de Jaime I », in Estudis
Baleàrics, n° 6 (1982) pp.225-255
L'Institut d'Estudis Catalans annonce à Palma pour les 13-15 octobre 2008 une conférence de Marta Serrano Coll (Universitat Rovira i Virgili, Extensió Universitària) sur la question.
- (**) L'internaute trouvera la totalité de ces images dans les ouvrages suivants :