[V. La Première Catilinaire]
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Pendant que Catilina s'armait dans l'ombre, le
sénat, à peine délivré des
inquiétudes que lui avait causées le
procès de Rabirius, était menacé par le
parti démocratique d'une nouvelle attaque non moins
dangereuse. Un tribun du peuple venait de présenter
une rogation à l'effet d'abolir le décret du
dictateur qui excluait de toutes les charges publiques les
fils des proscrits (1). Il n'y avait qu'une
voix à Rome sur l'iniquité de ce décret,
qui semblait imposer la tache des proscriptions à une
génération qui les désavouait avec
force. L'intérêt excité par les malheurs
de ces familles qu'avait décimées le fer des
bourreaux, la modération même de leurs demandes
rendaient la résistance difficile, surtout dans un
moment où l'opinion venait de se prononcer avec tant
d'énergie contre le meurtre de Saturninus, beaucoup
moins odieux cependant que les exécutions
décrétées par Sylla. D'un autre
côté, les conséquences de la
réhabilitation demandée étaient
incalculables. Après avoir recouvré leurs
droits politiques, les fils des proscrits exigeraient
bientôt sans doute qu'on leur rendît leurs biens
confisqués. Qui pourrait prévoir les
impérieuses réclamations de ces hommes aigris
par de cruelles infortunes ? Longtemps
persécutés, ils deviendraient peut-être
persécuteurs à leur tour ; en un mot, adopter
la rogation nouvelle c'était recommencer une
révolution, c'était anéantir l'eeuvre du
dictateur, cette constitution qui,
précédée par des crimes, avait pourtant
rendu à Rome l'ordre et la paix dont elle avait tant
besoin.
L'histoire n'a point
conservé le souvenir des débats auxquels le
projet de loi donna lieu. On sait seulement qu'il fut
appuyé par le consul Antonius (2), et que Cicéron
le combattit avec force. Tout en déplorant les
rigueurs de Sylla, tout en condamnant comme injuste le
décret du dictateur, il soutint qu'il était
dangereux et impolitique de l'abroger maintenant (3). Il assumait ainsi sur
sa tête des inimitiés redoutables. La rogation
fut rejetée, ou plus vraisemblablement même elle
ne fut point portée devant le peuple, et
l'intercession d'un tribun doit avoir été le
moyen employé pour écarter cet
épouvantail (4). On ignore
également la part prise par César dans cette
discussion, mais il est permis de penser qu'il
s'intéressait médiocrement à la
réussite du projet. Chef reconnu du parti populaire,
et successeur de Marius, il ne voulait point sans doute
partager cette brillante position avec les héritiers
des familles persécutées par le dictateur. Son
seul but n'était encore que de tenir le sénat
continuellement en haleine, en lui suscitant chaque jour des
ennemis nouveaux. Les succès mêmes de
l'oligarchie semblaient l'épuiser, tandis que les
défaites du parti populaire ne faisaient qu'irriter
son audace et augmenter ses forces.
Au milieu de ces luttes incessantes, Cicéron se montra
digne de la confiance que le sénat avait mise dans sa
prudence et dans son habileté. Il devait à la
fois s'opposer aux entreprises audacieuses du parti
populaire, et surveiller les manoeuvres obscures de Catilina
et de ses complices. Il avait encore à triompher de
l'apathie ou de la mauvaise foi de son collègue
Antonius, toujours prêt à l'abandonner pour
faire cause commune avec les adversaires du sénat.
Enfin, la politique de temporisation qu'il avait
adoptée trouvait parmi ses amis mêmes des
critiques opiniâtres, et ce n'était pas le
moindre des obstacles qu'il eût à
surmonter.
Il mettait toute son
étude à séparer Catilina de César
et de Crassus, car il sentait bien qu'il serait presque
impossible au sénat de résister seul à
une si puissante coalition. Heureusement le caractère
et les intérêts si différents de ces
trois chefs de parti lui fournissaient les moyens de
s'opposer à l'alliance qu'il redoutait. Tandis que
Crassus était retenu par le respect de son rang
élevé et par son avarice, le neveu de Marius ne
pouvait ouvertement se déclarer l'ami du meurtrier
à gages de Sylla. La neutralité de ces deux
hommes était déjà dangereuse, et
cependant Cicéron ne pouvait espérer davantage
dans une lutte qui menaçait l'oligarchie. Sa politique
tendait donc à forcer Catilina de quitter le
rôle de conspirateur pour se déclarer
franchement rebelle. Tant qu'il demeurerait à Rome en
relations secrètes avec les chefs des factions
opposées au gouvernement, il pouvait y trouver un
appui pour ses menées. Hors de la ville, à la
tête d'une insurrection déclarée, il
devait être infailliblement désavoué par
des hommes qui n'étaient point dupes de ses desseins
véritables, mais qui ne demandaient qu'à
pouvoir les ignorer.
A l'approche des comices, le consul, pour contre-balancer les
manoeuvres des conjurés et pour faire échouer
l'élection de Catilina, résolut d'adopter, au
nom du parti oligarchique, des candidats agréables au
peuple et tels qu'ils ne pussent avoir à craindre
l'opposition de Crassus ni celle de César. Trois
concurrents se présentaient à cette
élection en même temps que Catilina : D. Junius
Silanus, L. Licinius Murena et Ser. Sulpicius (5), tous les trois exempts
de ces passions violentes, communes aux différentes
factions entre lesquelles se partageaient les citoyens,
hommes d'affaires d'ailleurs, et de qui l'on ne devait point
craindre de tentatives contre la constitution établie.
Mais on savait que la brigue de Silanus serait
favorisée par César, et cela par un motif fort
étranger à la politique, et cependant d'un
grand poids. Sa femme Servilia possédait alors
uniquement le coeur de César, elle exerçait
même sur lui la plus grande influence (6). Leur liaison
n'était pas un mystère à Rome et datait
de loin. D'un autre côté, Licinius Murena
était intimement lié avec Crassus et avec
Lucullus, les deux membres les plus actifs du parti
aristocratique. En appuyant la brigue de ces deux candidats,
le sénat donnait en apparence une satisfaction aux
chefs des deux oppositions, mais en réalité ne
compromettait nullement le système politique qu'il
suivait depuis la mort du dictateur. On avait lieu de croire
que, par égard pour Crassus, César soutiendrait
Murena dans les comices, et Silanus, en retour, pouvait
compter sur la protection de Crassus. De la sorte, Catilina
se trouverait réduit à ses propres forces.
Enfin le consul, prévoyant le cas où son ennemi
parviendrait à l'emporter dans les comices,
s'était réservé, à tout
événement, un moyen de le combattre même
après cette épreuve. A cet effet, il proposa et
fit adopter une nouvelle loi contre la brigue, qui porta son
nom, suivant l'usage romain. Bien que toutes les dispositions
de cette loi ne nous soient pas connues, on en sait assez
pour comprendre quelle en était la tendance. Non
seulement elle augmentait la pénalité en
vigueur contre le crime de brigue, depuis la loi Calpurnia
(7), mais encore en
interdisant aux candidats certains moyens d'influence
tolérés jusqu'alors, elle pouvait avoir un
effet rétroactif. C'est ainsi qu'aux termes de la loi
Tullia (8), un
candidat était exclu lorsqu'il avait donné au
peuple un spectacle de gladiateurs deux années avant
de se présenter aux comices. Si cette disposition
singulière ne menaçait pas personnellement
Catilina, il est probable que Cicéron n'en avait pas
oublié d'autres qui pouvaient lui fournir les moyens
de faire casser l'élection d'un homme trop
téméraire pour ne pas donner prise sur
lui.
Bien que favorisées
par Cicéron et par la majorité du sénat,
la candidature de Silanus, et surtout celle de Murena,
trouvèrent une vive opposition chez quelques membres
du parti oligarchique qui se faisaient illusion sur
l'étendue de leur pouvoir. Caton, entre autres, dont
la farouche vertu n'avait jamais pu admettre de transactions
avec des hommes qu'il détestait, Caton poursuivit avec
la même violence la brigue de Licinius et celle de
Catilina. Il est vrai que le premier, rapportant d'Asie des
trésors d'origine suspecte, achetait ouvertement les
suffrages au mépris de la nouvelle loi contre la
corruption électorale. Sur les manoeuvres de Murena le
sénat fermait les yeux, réservant toute son
indignation contre celles qu'on imputait à Catilina.
Un jour, vivement interpellé par Caton, et
menacé même d'un procès, menace
redoutable, car Caton était alors tribun du peuple
désigné, Catilina, emporté par la
colère, s'écria : «On veut porter le feu
dans ma maison... qu'on y prenne garde ! je ne
l'éteindrai pas avec de l'eau, je l'étoufferai
sous des ruines (9)
!» Tant d'audace consternait les vieux sénateurs
; les conjurés étaient pleins
d'espérance ; le parti démocratique voyait avec
un secret plaisir l'humiliation et l'anxiété de
ses adversaires.
Les comices consulaires,
retardés à dessein extraordinairement,
étaient indiqués pour le 12 des kalendes de
novembre. La veille, Cicéron rassembla le sénat
et lui communiqua les rapports qui lui étaient
adressés de différentes villes de
l'Italie.
On lui annonçait que, le 5 des kalendes de novembre,
une prise d'armes devait avoir lieu en Etrurie ; le lendemain
une émeute éclaterait dans Rome ; la vie des
consuls (10)
était menacée. La flotte en station à
l'embouchure du Tibre était sollicitée à
la révolte, et L. Gellius, le légat qui la
commandait, venait de découvrir une conspiration
organisée parmi ses équipages (11). Ailleurs on
signalait des conciliabules suspects, ou des mouvements
inquiétants parmi les esclaves. Ici des tentatives
pour embaucher des gladiateurs avaient excité les
alarmes des magistrats ; là des amas d'armes de
guerre, formés mystérieusement, venaient
d'être découverts et saisis. Toutes ces
menées, tous ces préparatifs effrayants, les
projets de rébellion et de guerre civile qu'ils
indiquaient trop clairement, le consul les attribuait
à Catilina, il en faisait le texte d'une accusation
formelle. Puis il rapportait un passage d'un discours
adressé par Catilina à ses partisans, discours
presque public, comme il semble, et qui pouvait faire
connaître quels étaient ses desseins en
demandant le consulat, et quels suffrages il espérait
obtenir. «Les malheureux, aurait-il dit, ne trouveront
un défenseur fidèle qu'en choisissant un homme
malheureux lui-même. Les pauvres et les opprimés
ne doivent accorder aucune confiance aux promesses des riches
et des puissants. Que ceux qui veulent recouvrer ce qu'ils
ont perdu, reprendre ce qu'on leur a volé, que
ceux-là considèrent mes dettes, ma position,
mon désespoir. Aux opprimés et aux malheureux,
qu'on ne l'oublie pas, il faut un chef hardi, et le plus
malheureux de tous (12) !»
Le consul n'avait pas besoin de commenter un langage si
menaçant pour exciter l'épouvante dans une
assemblée telle que le sénat. Après ces
terribles révélations, on devait s'attendre
à ce qu'il demandât des pouvoirs extraordinaires
; cependant il se bornait à conclure à ce que
le sénat, usant de son droit, ajournât les
comices, et délibérât sur la situation
des affaires.
Aussitôt Catilina, se levant avec emportement,
s'abandonna aux récriminations les plus violentes
contre un gouvernement qui, disait-il, opprimait tout le
peuple. «La tyrannie de quelques hommes,
s'écria-t-il, leur avarice, leur inhumanité,
voilà les véritables causes du malaise qui
tourmente la république». Puis après
avoir nié d'un air de mépris les projets de
révolte qui lui étaient imputés et
s'être répandu en invectives contre le consul,
il termina par cette figure menaçante : «Il y a
deux corps dans la république, l'un débile avec
une tête caduque ; l'autre fort, mais sans tête.
Eh bien, tant que je vivrai, il aura une tête (13) !» Il sortit
à ces mots, laissant le sénat encore plus
effrayé qu'indigné, car cet appel aux pauvres
et aux malheureux, toujours redoutable aux riches,
l'était surtout à cette époque,
où un fort petit nombre d'hommes opulents
s'abandonnaient à un luxe scandaleux en
présence d'une multitude immense de prolétaires
affamés.
On avait
délibéré cependant, et sur la
proposition de Cicéron, les comices furent encore
ajournés. On fit plus, on rendit un
sénatus-consulte qui attribuait les pouvoirs les plus
étendus (14) aux consuls et
à tous les magistrats en fonctions à Rome, et
qui les chargeait, comme dans les calamités
pressantes, de veiller au salut de la république. Ce
décret, renouvelé de celui qui avait
foudroyé C. Gracchus, était une arme terrible,
mais il fallait avoir la hardiesse de s'en servir. Les temps
étaient changés ; dans l'état où
se trouvait Rome alors, Cicéron, mal secondé et
peut-être trahi par son collègue, témoin
de l'effroi du sénat, incertain sur les dispositions
du peuple, n'osait assumer la responsabilité
gn'Opimius n'avait pas craint d'encourir autrefois. Il se
borna donc à pourvoir à sa sûreté
personnelle et à maintenir la tranquillité dans
la ville par un déploiement inusité de forces
militaires.
La publication du
sénatus-consulte excita au plus haut point
l'anxiété publique, sans abattre en rien
l'audace des conjurés, car ils ne pouvaient se
méprendre sur les motifs qui retenaient le consul dans
l'inaction. Chaque jour apportait de nouvelles alarmes.
Tantôt on répandait le bruit que les colonies
militaires étaient insurgées, et que les
Gaulois cisalpins se soulevaient ; tantôt on
annonçait l'existence de vastes magasins d'armes et de
matières incendiaires secrètement formés
dans Rome même. L'incendie, le pillage, la
révolte des esclaves, tels étaient les malheurs
dont on se croyait menacé et qui pouvaient
éclater d'un instant à l'autre. Il entrait dans
les plans de Cicéron de ne pas démentir ces
rumeurs effrayantes, peut-être même chercha-t-il
à les accréditer, car les craintes de tous ceux
qui avaient quelque chose à perdre faisaient sa
principale force. Mieux que personne d'ailleurs, il
était instruit des projets des conjurés.
Dès avant son consulat, il avait organisé un
système d'espionnage qui entourait jusqu'aux chefs du
complot. Un certain Q. Curius, joueur effréné
(15), jadis
questeur, depuis chassé du sénat par les
censeurs pour le scandale de sa conduite, avait
été une des premières recrues de
Catilina. Cet homme avait pour maîtresse une femme
d'une famille illustre, nommée Fulvia. Traité
avec froideur par elle lorsque la pauvreté, suite de
sa disgrâce, l'obligea de se montrer moins
généreux, il avait presque cessé ses
relations avec Fulvia, lorsque tout à coup elle le vit
reparaître plein d'arrogance et de hauteur. Il parlait
de la fortune brillante qui allait être son partage,
lui faisait les plus magnifiques promesses ; ou bien,
changeant tout à coup de langage, il la
menaçait de la tuer s'il venait à douter d'elle
(16). Curius avait
toujours été d'une
légèreté telle, qu'il n'avait jamais su
rien taire, même ses turpitudes (17). Surprise de ses
bravades, Fulvia voulut en connaître le motif, et n'eut
pas de peine à le savoir ; puis, une fois
maîtresse de son secret, elle songea à en tirer
parti pour elle-même. D'abord, sans nommer Curius, elle
fit quelques confidences qui la mirent bientôt en
rapport avec Cicéron. Mais celui-ci ne se contenta
point de vagues discours, il l'obligea de lui faire
connaître son auteur. Curius avait l'âme trop
basse pour ne pas comprendre que le rôle d'espion lui
convenait mieux que celui de conspirateur (18). Il l'accepta
dès lors sans hésiter, et par l'ordre du consul
continua de montrer à Catilina un dévouement
dont celui-ci fut complètement la dupe. Admis à
tous ses conciliabules, instruit de toutes ses
résolutions, il rapportait jour par jour à
Cicéron tout ce dont il avait été
témoin. Grâce au mystère dont ces
communications étaient entourées, les
conjurés ne pouvaient former un projet qui ne
fût déjoué d'avance. Mais si la trahison
de Curius suffisait pour rassurer Cicéron contre le
danger d'une surprise, le caractère de son agent lui
rendait difficile de convaincre publiquement Catilina. Les
révélations d'un misérable honni dans
Rome, le témoignage d'une courtisane eussent
été rejetés avec indignation par une
grande partie du sénat. César et Crassus
auraient soulevé toutes les susceptibilités
patriciennes contre le consul qui sacrifiait à de tels
accusateurs un des membres de leur ordre. Le consul avait
besoin de preuves positives, incontestables, pour
démontrer la vérité à tant de
gens intéressés à ne la point
voir.
Les comices n'avaient pu
être retardés que de quelques jours. Il fallut
enfin en venir à cette épreuve décisive.
D'un côté, l'on vit paraître sur le Forum
Catilina suivi d'Autronius, de Lentulus et des principaux
conjurés, parmi lesquels, outre ses affidés de
Rome, on remarquait beaucoup de soldats licenciés.
Conduits par de vieux centurions, ils arrivaient en troupes
des colonies où le dictateur les avait établis,
et marchaient en ordre vers l'enceinte où se donnaient
les suffrages, comme s'ils allaient à un exercice
militaire. Des gladiateurs, et une foule de gens sans aveu,
grossissaient ce cortège ; beaucoup portaient de
courtes épées ou des poignards qu'ils ne
prenaient pas la peine de cacher (19). Sur leur passage, la
populace échauffée par l'espoir d'un grand
désordre, où elle avait tout à gagner,
accueillait par ses acclamations le candidat ennemi des
riches, et semblait lui demander déjà le
pillage pour prix de ses votes. D'un autre côté,
tous les citoyens qui possédaient quelque fortune,
inquiets de ces démonstrations menaçantes, se
serraient autour de Silanus et de Murena, qu'escortaient un
gros de sénateurs et de clients. Au milieu de la
place, Cicéron s'avançait pour présider
les comices, entouré d'une troupe nombreuse de jeunes
chevaliers qui, défiant du regard la multitude,
semblaient disposés à provoquer plutôt
qu'à éviter une collision.
Le consul prit place avec
calme sur son tribunal élevé, mais il affectait
de laisser voir sous sa toge une brillante cuirasse (2O), pour montrer qu'il
s'attendait à des violences, et qu'il était en
mesure de les réprimer ; en effet, quelques temples
voisins du Champ de Mars étaient occupés par
des soldats, et des corps de garde observaient les quartiers
suspects. De part et d'autre, tout semblait se
préparer pour un combat.
Il n'eut point lieu cependant ; Catilina s'était cru
sûr du succès, les conjurés,
persuadés qu'une démonstration suffirait pour
réussir au Forum, n'avaient peut-être pas
d'ordre pour commencer l'attaque. D'ailleurs, ils
étaient la plupart intimidés par les
préparatifs militaires du consul et par l'attitude des
chevaliers et des jeunes sénateurs, qui formaient
autour de lui comme un rempart. Enfin le résultat du
scrutin les frappa de stupeur ; Silanus et Murena obtinrent
la majorité des suffrages, et Catilina sentit qu'il ne
pouvait rien oser avant d'avoir rassuré ses
complices.
La victoire due à la prudence de Cicéron
faillit être troublée par l'indiscipline de
quelques-uns de ses amis. On a déjà vu que
Murena, ami de Lucullus et de Crassus, était
particulièrement odieux à une partie de leurs
collègues, qui désapprouyaient hautement toute
transaction avec les factions contraires au gouvernement.
D'ailleurs, Murena, moins aimé du peuple que Silanus,
avait répandu l'or dans les tribus avec plus
d'efficacité que de prudence, et si la corruption
électorale était alors le plus sûr moyen
de parvenir aux honneurs, la maladresse à s'en servir
était sévèrement punie par les lois.
Sulpicius, candidat malheureux comme Catilina, mais fort de
sa réputation de probité, ne put se
résigner à laisser Murena jouir tranquillement
de son triomphe. Il protesta, et sur-le-champ lui intenta un
procès pour brigue, soutenu par Caton, dont
l'austère vertu donnait une force nouvelle à
une accusation déjà trop bien fondée.
Cette division parmi ses adversaires releva l'espoir de
Catilina, et fit craindre à Cicéron de perdre
au dernier moment tout le fruit de sa politique. En effet,
Sulpicius pouvait bien parvenir à faire annuler
l'élection de son compétiteur, mais il n'avait
pour lui-même aucune chance de succès dans les
comices. Les hommes qui avaient donné leurs suffrages
à Murena, libres maintenant, les auraient
peut-être reportés sur Catilina, et de la sorte,
l'alliance entre les conjurés et le parti populaire se
renouait en dépit de tous les efforts que faisait
Cicéron depuis si longtemps pour la rompre.
Dans cette situation,
après avoir épuisé tous les moyens de
conciliation que sa prudence pouvait lui suggérer, il
se déclara hautement le protecteur de Murena,
annonçant qu'il allait déposer la pourpre
consulaire pour prendre, comme avocat, sa défense
devant le tribunal. Hortensius, l'orateur le plus
célèbre après lui, s'offrit pour le
seconder, comme il l'avait déjà fait dans le
procès de Rabirius (21) ; enfin Crassus,
oubliant ses ressentiments contre le consul, en
présence du danger que courait un homme qu'on
regardait comme son client, se joignit aux deux illustres
avocats. La brigue, la richesse, l'éloquence, se
réunissaient donc en faveur de l'accusé.
Catilina, de son
côté, parut ne pas vouloir attendre pour
éclater l'issue d'un procès où son
heureux compétiteur se présentait avec tant
d'avantages. Aussitôt après les comices il
congédia précipitamment les colons militaires,
qu'il avait mandés à Rome. Quelques-uns des
conjurés se rendirent en même temps dans les
provinces qu'ils croyaient disposées à
l'insurrection. Septintius partit pour le Picénum ; C.
Julius, pour l'Apulie ; quelques-uns furent envoyés
dans la Gaule cisalpine ; d'autres, à Capoue et dans
le sud de l'Italie (22).
On ne tarda pas à
connaître de quelles instructions ils étaient
porteurs. Peu de jours après l'élection des
consuls, un sénateur, L. Sénius, apporta dans
la curie une lettre de Faesulae, annonçant que le 5
des kalendes de novembre, Mallius avait réuni une
grosse troupe de soldats colonisés et de paysans
étrusques, et qu'il campait militairement devant cette
ville. Toutefois dans ce rassemblement le nom de Catilina
n'avait point été prononcé ; on ignorait
encore les intentions de Mallius ; nul cri, nul drapeau qui
fissent connaître le motif de cette levée de
boucliers (23).
Ces nouvelles, trop véritables, étaient
accompagnées d'autres rapports qui, bien
qu'exagérés par la crainte, n'étaient
pas moins alarmants. C'était maintenant dans toute
l'Italie qu'avaient lieu des conciliabules suspects ; partout
l'attitude des gladiateurs et des esclaves devenait
menaçante ; on craignait une surprise contre Capoue.
Enfin de nouveaux prodiges et des phénomènes
célestes étaient rapportés par plusieurs
magistrats, et l'on sait que pour les Romains ces signes du
courroux des dieux étaient presque aussi effrayants
que des dangers réels (24).
Le gouvernement n'avait
point d'armée. Les levées que les consuls
avaient été autorisés par
sénatus-consulte à faire dans la capitale
même, étaient nécessaires à sa
sûreté. Par fortune, deux proconsuls, Q. Marcius
Rex et Q. Métellus, étaient aux portes de Rome,
avec des détachements des armées qu'ils avaient
commandées, attendant la décision du
sénat, auquel ils demandaient les honneurs du triomphe
(25).
Aussitôt l'ordre fut donné à Marcius de
courir en Etrurie ; à Métellus de diriger ses
cohortes à marches forcées sur l'Apulie. Le
préteur Q. Pompéius Rufus partit
précipitamment pour Capoue, avec mission
d'éloigner de cette ville les gladiateurs qui s'y
trouvaient réunis en grand nombre, et de les
disséminer par petites troupes dans des municipes
où ils ne pourraient donner d'inquiétudes.
Enfin un autre préteur, Q. Métellus Celer,
reçut la mission de contenir le Picénum et la
Gaule cisalpine (26). Chacun de ces
magistrats avait plein pouvoir pour lever des troupes et pour
prendre toutes les mesures de défense que les
événements lui suggéreraient. Rome
était remplie de soldats ou plutôt de citoyens
armés comme dans les premiers temps de la
république, à la nouvelle d'un tumulte gaulois.
Pour la première fois alors, le consul proclama
l'existence d'une vaste conspiration, qui depuis plusieurs
jours n'était plus un secret pour personne. Des
récompenses considérables furent promises aux
dénonciateurs : à un homme libre, deux cent
mille sesterces ; à un esclave, cent mille et la
liberté; enfin amnistie complète à qui
dénoncerait ses complices (27). La terreur
était à son comble. Plus de crédit, plus
d'affaires. Une foule de femmes en pleurs assiégeaient
les temples, chacun cachait son or et cherchait à
s'assurer une retraite ; beaucoup de citoyens quittaient en
hâte leurs demeures pour fuir une ville qui allait
être livrée au carnage et à l'incendie
(28).
Au milieu de tous ces
préparatifs de guerre, en présence d'une
révolte armée à quelques milles de Rome,
le gouvernement, malgré les pouvoirs que lui avaient
conférés le dernier sénatus-consulte,
n'ordonnait aucune arrestation ; pas un seul des
conjurés n'était inquiété, et
cependant un grand nombre et surtout leur chef étaient
déjà signalés par l'opinion
publique.
Tandis que le consul semblait s'épuiser en vains
efforts à la recherche d'un ennemi invisible, un jeune
patricien nommé L. Aemilius Paullus (29), indigné de
ménagements dont il ne comprenait pas la cause, et
probablement sans vouloir prendre l'avis de Cicéron,
accusa Catilina criminellement, de violences (30), aux termes de la lui
Plotia, loi ancienne qui paraît avoir puni tout
attentat contre la vie ou l'indépendance des
magistrats, toute excitation à la révolte, en
un mot, tout acte tendant à troubler la paix publique
(31). Le seul fait
de porter une arme dans les comices entraînait une
peine capitale (32) ; et le citoyen
accusé par la formule Plotia pouvait être soumis
à une détention préalable, avant que le
juge eût prononcé sur la réalité
de l'imputation alléguée contre lui (33). Il est vrai que
d'ordinaire cette détention était adoucie, du
moins pour les sénateurs et les personnes d'un rang
considérable : ce n'était point dans la prison
publique qu'ils étaient renfermés, car elle ne
recevait guère que des criminels avant leur
exécution (34) ; ils étaient
remis à la garde d'un citoyen désigné
par les magistrats, qui devait répondre de leur
présence au jour du jugement. Par une étrange
association de mots, on appelait cette espèce de
détention liberae custodiae, garde libre
(35). Telle
était celle qui pouvait s'appliquer à Catilina
sous le poids de cette nouvelle accusation. Celui-ci, payant
toujours d'audace, parut vouloir hâter plutôt que
retarder son procès, et avant que les magistrats
eussent vraisemblablement rien décidé encore au
sujet de l'accusation de Paullus, il alla s'offrir
lui-même à M. Lépidus pour être
gardé dans sa maison. Soit crainte d'un piège,
soit horreur pour la personne de Catilina, Lépidus
refusa de l'admettre. Alors Catilina s'adressa à
Cicéron lui-même, dont il reçut pareille
réponse ; enfin au préteur Q. Métellus
Celer (36) ;
partout il fut éconduit, un seul sénateur, son
allié, M. Métellus, consentit à encourir
la responsabilité de sa garde ; mais ce changement de
domicile et cette surveillance prétendue ne le
gênèrent en rien, car il ne cessa point de
communiquer avec ses complices aussi librement qu'auparavant
(37).
De la maison de
Métellus en effet il avait formé le plan d'un
coup de main contre Préneste, ville fortifiée
et position militaire des plus importantes, dont la
possession avait été vivement disputée
dans les dernières guerres civiles. On sait que le
jeune Marius en avait fait sa place d'armes et qu'elle ne
tomba entre les mains de Sylla qu'à la suite d'un long
siège. Après l'extermination des habitants par
ordre du dictateur, Préneste avait été
repeuplée par des soldats de l'armée
victorieuse, à qui, pour prix de leurs services, leur
général partagea le territoire de cette
malheureuse ville. Catilina se flattant qu'il lui serait
facile de séduire ces hommes qui avaient
été ses compagnons d'armes, avait fixé
l'attaque aux kalendes de novembre. Mais Curius assistait au
conseil des conjurés, et en avertit aussitôt le
consul. La place fut mise en état de défense,
et les conjurés après s'être
présentés plutôt pour la
reconnaître que pour l'attaquer sérieusement, se
retirèrent à la hâte dès qu'ils se
furent aperçus que la garnison se tenait sur ses
gardes (38).
Il est étonnant qu'après avoir vu ses projets
si souvent déjoués par la vigilance de
Cicéron, Catilina n'ait pas compris qu'il était
entouré d'espions, et qu'il ne soit pas parvenu
à les découvrir, ou du moins à cacher
ses plans sous un mystère impénétrable
à tous ses complices subalternes. Soit qu'il se
persuadât que surveillé comme il devait
l'être, il lui fût impossible de mettre en
défaut la prudence du consul, soit, comme il est plus
probable, que son caractère lui fit
préférer la force ouverte à la ruse, il
résolut de quitter Rome et de se mettre à la
tête des bandes que Mallius venait de réunir
auprès de Faesulae. Cependant, avant de partir, il
voulut rassembler encore une fois les conjurés, leur
tracer leur plan de conduite, en un mot, leur laisser ses
dernières instructions.
La nuit du 7 au 6 des ides
de novembre, les conjurés se trouvèrent
réunis en assez grand nombre dans la maison de M.
Porcius Laecca. Catilina s'y rendit, soit à l'insu,
soit du consentement de son hôte, et là,
après avoir reproché amèrement à
ses complices leur lâcheté, qui seule,
disait-il, avait fait manquer le coup de main contre
Préneste, il leur annonça sou départ
prochain pour l'Etrurie, et distribua les rôles
à ceux qui devaient rester à Rome. Sur les
résolutions qui furent prises dans ce conciliabule,
l'histoire n'a pour se guider que le témoignage de
l'accusation, que l'on ne peut admettre sans une certaine
défiance. Un massacre nocturne, l'incendie de
plusieurs quartiers, tels sont les projets imputés aux
conjurés, et qui, on doit le reconnaître, n'ont
jamais été démentis. Lentulus devait,
dit-on, remplacer Catilina, et diriger l'exécution de
ses ordres. Céthégus et Gabinius étaient
chargés d'assassiner une partie du sénat, de
soulever la populace et de l'armer. Cassius, avec une bande
d'incendiaires, devait mettre le feu dans plusieurs quartiers
à la fois, afin d'augmenter le désordre, et de
retenir par la crainte d'un danger personnel les citoyens qui
voudraient se rallier autour de leurs magistrats (39). Tous ces crimes
eussent été sans doute inutiles, si Catilina ne
se fût trouvé à la tête d'une
armée, assez près de Rome pour en recueillir
les fruits. Il est probable que cette sanglante
exécution fut plutôt discutée que
résolue, et seulement comme une
éventualité dont de pareils hommes pouvaient
s'entretenir sans horreur.
Un autre projet aussi atroce, mais qui semble démentir
le précédent, me paraît mieux
avéré, et tout porte à croire qu'il fut
réellement adopté dans cette assemblée
de sicaires. Catilina se plaignit de la vigilance du consul
qui plusieurs fois l'avait contraint d'abandonner les plans
les mieux combinés. Cicéron, dit-il,
était plus dangereux lui seul que tout le sénat
ensemble, et il l'allait à tout prix se
délivrer d'un homme qui leur avait déjà
fait tant de mal, et qui pouvait leur en faire davantage.
Aussitôt un chevalier nommé C. Cornélius
s'offrit pour ce coup audacieux, et le sénateur L.
Varguntéius, confiant dans sa force athlétique,
sollicita l'honneur de le seconder. Parvenir jusqu'au consul
leur semblait chose facile. Tous les deux, cachant des
poignards sous leurs toges, devaient se présenter
avant le jour à sa maison, comme pour l'entretenir
d'affaires importantes ou pour lui faire des
révélations. La situation de Rome paraissait
justifier leur visite à une heure inaccoutumée,
et les prétextes ne pouvaient manquer pour l'attirer
à l'écart loin de ses esclaves et de ses
clients (40).
Là les deux scélérats l'auraient
assassiné sans peine. Lui mort, Rome était
à eux. Un tribun désigné, L. Calpurnius
Bestia, se chargeait de soulever la populace (41) ; Catilina courait en
Etrurie pour rentrer bientôt dans la ville à la
tête d'une armée. Autronius, partant la nuit
même, le précéderait au camp de Mallius
et disposerait tout pour sa réception (42).
Rien que la nuit fût fort avancée lorsque
l'assemblée se sépara, Curius eut le temps de
faire prévenir le consul. En même temps
quelques-uns des conjurés, touchés de remords,
ou peut-être effrayés des dangers oit les
entraînait leur chef, avaient adressé des
avertissements mystérieux à plusieurs membres
du sénat. Des lettres anonymes les engageaient
à pourvoir à leur sûreté,
annonçant une catastrophe terrible dont elles
accusaient Catilina. Cicéron entendait les
révélations que lui faisait Fulvia de la part
de Curius, lorsque Crassus, M. Marcellus et Métellus
Scipion se présentèrent chez lui fort
troublés, et lui remirent des lettres qu'ils venaient
de recevoir (43).
Peu après, Cornélius et Varguntéius
frappaient à sa porte, et demandaient à
l'entretenir en secret. Mais déjà les portiers
avaient reçu des ordres, la maison était
gardée, et les deux assassins ne furent point admis
malgré leur insistance (44). Dès ce moment
le consul ne sortit plus qu'entouré d'un gros de
chevaliers et de jeunes Réatins, ses clients, toujours
bien armés.
Si l'annonce du départ de Catilina le comblait de
joie, la démarche de Crassus, qu'il avait toujours
soupçonné, lui prouvait que toute relation
avait cessé entre les chefs de l'opposition et les
conjurés. C'était le moment qu'il attendait
depuis longtemps avec patience pour frapper un coup
décisif.
Le 6 des ides de novembre,
il convoqua le sénat dans le temple de Jupiter Stator
sur le mont Palatin. Une troupe nombreuse de chevaliers en
armes entourait la curie, et dans toute la ville on
remarquait un appareil militaire déployé avec
plus d'ostentation encore que les jours
précédents. Catilina, que Cicéron
croyait peut-être déjà sur la route
d'Etrurie, parut tout à coup dans le temple. Son
sang-froid ordinaire ne l'avait pas abandonné, et il
se flattait qu'il pourrait toujours en imposer à force
d'impudence, et retrouver l'occasion que ses
émissaires venaient de manquer. Il traversa la foule
des sénateurs sans qu'un seul répondît
à son salut. Arrivé au rang de sièges
où il avait droit de prendre place avec les
magistrats, qui avaient exercé comme lui des charges
curules, un mouvement d'horreur éclata dans
l'assemblée. Plusieurs consulaires
s'écartèrent précipitamment, comme s'ils
eussent craint d'être souillés par le contact de
sa toge (45). Ses
complices mêmes, intimidés, n'osaient
s'approcher de lui, et pendant quelque temps il se trouva
isolé au milieu des sièges vides, comme un
criminel devant ses juges. Troublé par cette
réception, inquiet des préparatifs
extraordinaires qu'il avait remarqués, il attendait
dans un sombre silence le dénoûment de celte
scène, qu'il avait tant de raison de redouter.
Je n'entreprendrai point
de rapporter ici le discours de Cicéron, car je ne
veux point affaiblir par une traduction la sublime
éloquence de la première Catilinaire. Je
me bornerai à en résumer les points principaux,
puis j'essayerai de rechercher le but du consul et
d'expliquer ses intentions et sa conduite dans cette
mémorable circonstance. Contre l'usage, ce ne fut
point à l'assemblée qu'il s'adressa. Il
interpella Catilina lui-même, et porta la parole, non
point comme le président d'une compagnie admonestant
l'un de ses membres, mais comme un juge qui lit une sentence
à un coupable convaincu.
«Tes projets, dit-il, me sont connus. Toutes tes
démarches, je les surveille depuis longtemps. Ne
vois-tu pas que tu ne peux rien tenter dont je ne sois
aussitôt instruit ? J'ai su, j'ai annoncé
d'avance le soulèvement de Mallius, je viens de
déjouer la surprise que tu as essayée contre
Préneste. Je te dirai ce que tu as fait la nuit
dernière. Tu es allé chez Porcins Laecca, tu as
distribué les rôles à tes complices. A
ceux-ci l'insurrection de telles provinces de l'Italie ;
à ceux-là l'incendie de tels quartiers de Rome.
Tu leur as annoncé ton départ pour le camp de
Mallius. Tu as chargé deux chevaliers romains de
m'assassiner. Ose le nier ? je te convaincrai, car tu es
entouré d'yeux et d'oreilles que tu ne
soupçonnes pas, mais à qui rien
n'échappe (46).
Je pourrais, je devrais
peut-être faire justice à l'instant, ici
même, d'un scélérat tel que toi. J'en ai
le droit, j'en ai le pouvoir. Si je faisais un signe, ces
braves chevaliers qui entourent la curie te mettraient en
pièces. Naguère , un sénatus-consulte
déclarant la patrie en danger, le consul L. Opimius
n'attendit pas la nuit pour faire mettre à mort, sur
quelque soupon de sédition (47), Fulvius, personnage
consulaire, et C. Gracchus, que ne purent protéger ni
la gloire, ni les services de ses ancêtres. Armé
d'un senatus-cousulte semblable, Marius fit tomber
aussitôt la tête de Saturninus et celle de
Glaucia. Et nous, il y a vingt jours que nous laissons le
glaive des lois se rouiller inutile, car il y a vingt jours
que les Pères m'ont remis un sénatus-consulte
comme une épée dans son fourreau (48)».
Puis, comme Catilina,
après quelques efforts pour l'interrompre et pour se
justifier, s'écriait qu'il en
référât au sénat, et qu'il
était prêt à se soumettre au jugement que
cette comgagnie prononcerait sur sa conduite, le consul
comprit aussitôt que tout était perdu, si l'on
délibérait sur le sort de Catilina dans la
curie ; car alors, outre la difficulté de produire des
témoins dont il rougissait lui-même d'avoir
à se servir, il craignait que le parti populaire ne se
soulevât tout entier, si le sénat s'arrogeait le
pouvoir de prononcer dans une accusation capitale contre un
citoyen (49) ;
c'eût été l'occasion d'un débat
animé dans lequel l'importance de la question
générale aurait bientôt fait oublier la
position de Catilina. «Non ! reprit le consul, je n'en
référerai pas au sénat. Ce serait
abjurer mes principes (50)». Après
cette précaution pour désarmer la
susceptibilité des meneurs du parti
démocratique, il poursuit : «Tu vois les
sentiments de cette compagnie. L'horreur que tu lui inspires
ne t'en dit-elle pas assez ? Crois-moi, quitte Rome,
où tu n'as plus d'espoir. Deux partis te restent.
Va-t'en au camp de Mallius où tu es attendu. Là
tu trouveras bientôt une mort digne d'un brigand. Ou
bien, si tu veux vivre, choisis une retraite
éloignée et tâche qu'ou t'oublie.
J'accepte volontiers la responsabilité du conseil que
je te donne, dussent mes ennemis m'accuser un jour d'avoir
abusé contre toi de l'autorité consulaire. Je
défie la calomnie, et quoi qu'il arrive, je croirai
avoir bien mérité de la patrie en la
délivrant d'un monstre tel que toi.
Vous me demanderez,
Pères conscrits, pourquoi je permets à Catilina
de se mettre à la tête de bandes armées
contre la république, et d'exciter une guerre en
Italie, au lieu de sévir contre lui, comme les lois et
vos décrets m'y autorisent. Mais le supplice du seul
Catilina ne suffirait pas pour délivrer Rome de cette
peste déjà invétérée qui
la consume (51).
Laissez se grossir cette bande de malfaiteurs ; quand ils
seront tous réunis, d'un seul coup nous
écraserons tous les ennemis de l'Etat. D'ailleurs, je
le sais ; il y a dans cette enceinte des hommes qui se
refusent à l'évidence, dont la faiblesse a
longtemps encouragé l'audace de Catilina, dont
l'incrédulité volontaire lui a permis de tout
oser. Si j'étais juste, ils m'accuseraient de
cruauté, ils diraient que je fais le roi (52). Je veux les
convaincre, et les placer entre deux camps, celui de la
république et celui des rebelles».
A peine le consul
s'était-il rassis dans sa chaire curule, que Catilina,
hors de lui, balbutia d'une voix entrecoupée quelques
mots de justification. Puis prenant un ton de suppliant, il
conjura les sénateurs de se souvenir de sa naissance
et des services que ses ancêtres avaient rendus
à la république. Bientôt, il changea de
langage ; retrouvant par degré son audace ordinaire,
il se répandit eu sarcasmes grossiers contre
Cicéron. «Qui le croirait, s'écria-t-il,
on accuse un Sergius de méditer la perte de la
république ! on prend pour son sauveur un Sabin, un
étranger, locataire d'une maison à Rome
(53)».
Interrompu aussitôt par les murmures et les cris
furieux d'un grand nombre de sénateurs, et ne voyant
autour de lui personne qui prît sa défense, il
sortit de la curie la menace à la bouche, et
dès la nuit suivante il quitta Rome.
L'assemblée se sépara presque
immédiatement sans avoir
délibéré, toute la séance n'ayant
été qu'une sorte de duel entre le consul et
Catilina.
Le discours de
Cicéron peut surprendre d'abord par l'apparente
naïveté de sa franchise. En effet, il veut
chasser Catilina de Rome, il veut qu'il y ait un mur entre
eux (54), et son
dessein, il l'annonce sans détours à son
ennemi. N'était-ce pas l'obliger à se mettre
sur ses gardes, que de lui montrer le précipice avant
de l'y pousser ? Mais il faut remarquer aussi que, bien
instruit par ses espions, le consul connaissait d'avance la
résolution de Catilina, annoncée
déjà par Autronius aux insurgés
d'Etrurie. Le temps des Servilius Ahala et des Opimius
était passé. Déclarer Catilina hors la
loi par un sénatus-consulte, le poignarder
publiquement, c'eût été peut-être
alors une entreprise au-dessus des forces d'un gouvernement
mieux affermi que n'était le sénat.
Cicéron sentait que les choses en étaient
venues au point qu'il ne lui était plus possible de se
taire. Il fallait éclater. Juger Catilina était
difficile, le condamner paraissait impossible dans
l'état des esprits. Il fallait donc l'effrayer et
précipiter son départ. La fuite du chef, on
devait s'y attendre, aurait entraîné celle des
hommes qu'il avait séduits. Voilà pourquoi
Cicéron dévoile au sénat les projets des
conjurés, avec une précision de détails
accompagnée cependant de réticences
calculées. Il montre à son ennemi qu'il est
maître de son secret, mais le laisse dans l'ignorance
des preuves qu'il peut alléguer contre lui. C'est
à l'imagination de Catilina qu'il s'adresse pour
exagérer le péril réel dont il vient de
l'entourer. Il lui montre l'arme terrible du
sénatus-consulte qui peut à chaque instant
sortir du fourreau ; il excite contre lui ces jeunes
chevaliers en armes autour de la curie et prêts
à frapper l'ennemi public, comme leurs ancêtres
avaient immolé tant de victimes
désignées à leurs glaives. Catilina
naguère menaçait le sénat d'une
émeute ; c'est à lui même de trembler
maintenant. Voici qu'une foule irritée se
soulève contre lui. Ce n'est point une multitude de
prolétaires timides accoutumés à fuir
devant la verge d'un licteur. C'est une troupe de jeunes
patriciens, braves, orgueilleux, habitués aux armes ;
ils sont aussi impitoyables, aussi féroces que les
hôtes de Porcius Laecca et ils sont plus redoutables,
car ils ont de plus la confiance que donne la richesse, la
force et le bon droit. Certes, quelle que fût la
fermeté d'âme de Catilina, il devait être
ébranlé à ce coup ; et ne fût-ce
que pour assurer sa vengeance, il devait avoir hâte de
se trouver à la tête de ses
vétérans dans le camp de Faesulae.
Mais ce n'était pas seulement à Catilina que
s'adressait l'allocution du consul. On a vu
déjà que ce n'était pas l'ennemi le plus
dangereux qu'il eût à redouter. Parmi ses
auditeurs il savait qu'un grand nombre étudiaient
chacune de ses paroles pour s'en faire une arme contre lui.
Qu'importait à César, à Crassus, que
Catilina fût accablé ? Mais ce qu'ils
désiraient au fond de leur coeur, c'est que le consul
abusât contre lui de son pouvoir. Alors ils avaient le
champ libre pour prendre leur revanche, car une opposition ne
peut choisir pour combattre de meilleur terrain que celui de
la loi. Aussi, quelle adresse et quels ménagements
dans le discours du consul ! A Catilina il rappelle la
terrible justice , ou plutôt les assassinats
commandés par sénatus-consulte à
Servilius Ahala, à Scipion Nasica, à L.
Opimius, mais aussitôt il se hâte de dire au
parti démocratique : «Je n'imiterai point leur
exemple ; je ne ferai pas le roi». - Catilina
s'écrie : «Que le sénat
délibère, qu'il me juge ! - Non, répond
le consul, en regardant C. César, je n'imiterai point
Marius, je serai fidèle à mes principes ; le
sénat ne décidera pas de la vie d'un
citoyen». Ce sénat, il le couvre pour ainsi dire
de son corps. Il se dévoue pour attaquer seul son
ennemi. Ce n'est point le sénat, ce n'est point le
consul qui prononce l'exil contre le citoyen factieux, c'est
Cicéron qui chasse Catilina de la curie. César,
Crassus et les tribuns à leurs ordres étaient
venus, déterminés peut-être à ne
voir dans Catilina qu'une victime de la tyrannie oligarchique
; mais, lorsque au milieu de l'assemblée muette
d'horreur, Cicéron annonçant des meurtres
préparés, des incendies prêts à
s'allumer, offrait de produire des preuves accablantes, que
Catilina confondu ne trouvait que des injures à
répondre, alors des hommes revêtus de hautes
dignités, membres de la corporation la plus
éminente, par respect pour eux-mêmes, devaient
se prononcer énergiquement et désavouer toutes
relations avec un misérable accusé de pareils
crimes. Pas une voix ne s'éleva en faveur de
l'accusé, et, vraie ou feinte, ce fut l'indignation
générale qui le mit en fuite. La
modération même du consul, sous laquelle il eut
l'art de cacher sa faiblesse, imposait des ménagements
semblables au parti démocratique. Cicéron ne
demande pas la mort de celui qui a conspiré contre la
république, il ne veut pas même son exil, car,
il le dit hautement, il n'est point son juge ; il lui ordonne
de s'éloigner, et pour l'y contraindre il n'a d'autre
arme que sa parole éloquentè. Si Catilina ne se
déclare point lui-même ennemi public, alors
Cicéron assume sur sa tête la
responsabilité d'une persécution dont ses
adversaires pourront bientôt tirer une éclatante
vengeance aussitôt qu'il aura déposé les
faisceaux consulaires.
Une telle conduite était à la fois la plus
courageuse et la plus habile : courageuse, car
Cicéron, près de rentrer dans la vie
privée, savait quelles accusations, quelles terribles
représailles l'attendaient si la fuite de Catilina
faisait avorter la conspiration ; habile, car il
élevait une barrière entre les conjurés
et le parti démocratique, dont l'appui tacite, ainsi
que je l'ai dit plusieurs fois, faisait leur principale
force.
Dès que le
départ de Catilina fut connu, le premier soin de
Cicéron fut d'exposer sa conduite au peuple, et d'en
appeler en quelque sorte à son jugement. Il sentait la
nécessité de l'intéresser à sa
cause, et, consul, il n'hésita pas à se
départir des habitudes de l'oligarchie romaine, qui
toujours s'était appliquée à couvrir
d'un voile épais le mystère de ses
délibérations (55). Cette fois, au
contraire, il court au Forum et se hâte de raconter ce
qui vient de se passer dans la curie (56). Sa franchise
paraît complète, seulement son style s'est
modifié pour son auditoire. Les plaisanteries
triviales y abondent, on sent qu'il veut plaire à la
populace parce qu'il en a besoin. D'abord, affectant de
mépriser les forces que les rebelles rassemblent en
Etrurie, et les recrues que Catilina peut faire sur sa route,
il s'efforce de rassurer les citoyens timides et d'exalter la
grandeur des moyens dont le gouvernement dispose pour sa
défense. Puis il examine la situation de la
république, il fait la revue de tous les partis, et
cherche quels hommes pourraient aujourd'hui s'associer encore
à Catilina. «Sont-ce les grands
propriétaires endettés ? se demande-t-il. -
Mais avec lui ils ont plus à perdre qu'à
gagner. Croient-ils que leurs biens, au milieu de la
dévastation générale, demeureront
sacrés pour ces bandits(57) ? - Les ambitieux ?
(et c'est à ceux-là surtout qu'il s'adresse).
Où serait leur espoir, si le gouvernement était
renversé par une faction méprisable,
guidée par un tel chef ? Croyez-vous que les honneurs,
que les sacerdoces, les gouvernements que vous briguez
aujourd'hui, vous seraient réservés, si, par
impossible, Catilina l'emportait ? Non, il les donnerait
à des misérables, à quelque gladiateur,
à des esclaves fugitifs. Nous, au contraire, nous, les
représentants de ce gouvernement contre lequel ou
conspire, nous sommes prêts à partager le
pouvoir avec tous les hommes habiles qui le demandent par les
voies légales (58). - Restent les
vétérans de Sylla... Les redoutez-vous ? Leur
drapeau fait horreur à tout le monde (59)... - Puis, des
assassins, des voleurs, de jeunes débauchés
aussi ridicules qu'ils sont méprisables...
Voilà les vrais soldats de Catilina, les recrues selon
son coeur, et quel bonheur pour Rome d'être
délivrée de cette vile engeance ! Il fera beau
voir en campagne ces mignons si gracieux, aux cheveux si bien
peignés, imberbes ou barbus (60), couverts, de
toges... non, de voiles transparents ; ces héros si
vigilants, que l'aurore les trouve toujours à souper.
Pauvres enfants si jolis, si délicats, si bien
instruits à danser, à jouer du luth, voir
même du poignard, que vont-ils devenir par ces nuits si
froides maintenant, dans la neige, au milieu des Apennins
(61) ?»
Après avoir pendant quelque temps donné cours
à sa verve mordante en égayant son auditoire du
Forum, l'orateur reprend un ton plus sérieux et
s'occupe à rassurer ceux qui affiliés à
la conjuration flotteraient encore incertains entre le
repentir et la crainte du châtiment. A ceux-là,
il offre l'entier oubli du passé. «Je ne veux
pas les punir, s'écrie-t-il, je veux les guérir
si je le puis. Tous mes efforts n'ont qu'un seul but, c'est
que les scélérats eux-mêmes ne portent
pas la peine de leurs méfaits (62)».
En présence d'un
danger dont il essaye de dissimuler la grandeur, on
s'aperçoit que le consul ne rejette aucun moyen de
flatter la multitude, et qu'il recherche ces applaudissements
qu'on lui prodiguait autrefois lorsqu'il était
l'orateur du peuple. Le sénat n'est pas là pour
l'écouter, et il lui échappe plus d'une
expression mieux placée dans la bouche d'un tribun que
dans celle d'un consul. «On nous parle d'un
soulèvement des gladiateurs, dit-il, rassurez-vous ;
nos gladiateurs sont plus honnêtes gens que bien des
patriciens, ils resteront dans le devoir (63)».
Ailleurs il s'exprime ainsi : «Ces hommes des nouvelles
colonies voudraient tirer des enfers le spectre de leur
Sylla. Qu'on ne me parle plus de proscriptions, de dictature.
Ce temps ne reviendra plus. Les hommes, les bêtes
même ne souffriraient plus un dictateur (64) !»
Le consul reparaît
à la fin de ce discours, qui nous a montré
Cicéron sous un aspect nouveau : «S'il reste ici
quelque complice de Catilina, dit-il en terminant, qu'il
parte, qu'il aille rejoindre son chef. Il en est temps
encore. Dans la ville, j'entends que l'on soit soumis aux
lois. L'auteur de tout mouve ment, de tout dessein coupable,
apprendrait bientôt qu'il y a dans Rome des consuls
vigilants, des magistrats courageux, une prison inexorable
(65)».
 |
(1) On ignore le
nom du tribun auteur de la rogation. - Plut.,
Cic., 12. - Cic., ad Att, II, 1, 2.
- Cfr. Dionys. Hal., VIII, 80.
|
 |
(2) (Dio
Cass., XXXVII, 25).
|
 |
(3) adolescentes
bonos et fortes, meis inimicitiis, nulla senatus mala
gratia, comitiorum ratione privavi (Cic., in
Pis., 2).
|
 |
(4) Il ne
faut pas prendre à la lettre, sans doute, la
prosopopée de Pline : «Te orante,
proscriptorum liberos honores petere puduit».
(Plin., VII, 31.) - Le passage de Cicéron
cité tout à l'heure, nulla senatus mala
gratia, me parait donner beaucoup de vraisemblance
à l'opinion que j'ai émise.
|
 |
(5) Cic.,
Pro Mur., passim.
|
 |
(6) Sed ante
alias dilexit M. Bruti matrem, Serviliam (Suet.,
Jul., 50).
|
 |
(7) La loi
Cornelia et Baebia, rendue l'an de Rome 573, sur la
proposition des consuls P. Cornelius Cethegus et M.
Baebius Tamphilus, excluait pour dix ans du droit de se
présenter aux comices électoraux les
candidats reconnus coupables de brigue. En 687, le consul
C. Calpurnius Pison fit ajouter à cette
pénalité une forte amende (Cfr. Schol.
Bob., p. 361. - Ascon., in Cor., p. 75. - Dio
Cass., XXXVI, 21).
|
 |
(8) Cum mea
lex dilucide vetet : Biennio quo quis petat, petiturusve
sit, gladiatores dare, nisi ex testamento, praestituta
die (Cic., in Vat., 15, et Pro Sest., 64).
- Nec ignoramus auctore ipso Cicerone et C. Antonio coss.
legem severiorem de ambitu puniendo fuisse scriptam,
cujus meminit pro Murena, nam clementior aliquatenus
videbatur lex fuisse Calpurnia (Cfr. Schol. Bob., pro
Plancio, p. 269. - Et Schol. Bob., pro Sest.,
309 et 324). - La loi Tullia avait prévu le cas
où l'accusé chercherait à se
soustraire au jugement en feignant une maladie, ruse au
moyen de laquelle il aurait pu parvenir à retarder
le procès jusqu'au moment légal de son
entrée en charge. «Morbi excusationi poena
addita est». (Pro Mur., 23.) - Ce passage
obscur, et mal interprété par quelques
commentateurs, me semble expliqué de la
manière la plus satisfaisante par Ferratius,
cité par Orelli (0nomasticum Tull. Index
legum, t. VIII, p. 287).
|
 |
(9) Cic.,
Pro Mur., 25. - Cfr. Sall.,
Cat., 31. - Salluste, évidemment
à tort, rapporte ce mot à un autre moment,
pour le rendre plus dramatique.(
|
 |
(10) Plut.,
Cic., 15. - Sall, Cat.,
27, 28, 30. - On voit que Cicéron affecte
ici de présenter les deux consuls comme
également menacés, et, partant, comme
intimement unis. De la part d'un homme qui, peu de mois
auparavant, avait attaqué avec la plus grande
violence la coalition d'Antonius et de Catilina, cette
fiction officielle n'est pas seulement un
ménagement politique, elle prouve encore, ce me
semble, cette soumission aux faits légalement
accomplis, ce respect pour les formes si
caractéristiques chez les Romains. Pendant leur
candidature, Cicéron et Antonius pouvaient se
montrer ennemis déclarés ; devenus consuls
l'un et l'autre, ils formaient ce que l'on appelle
aujourd'hui le pouvoir exécutif, qui,
officiellement du moins , devait être
considéré comme animé d'une
volonté unique.
|
 |
(11) Cfr.
Cic., Post red. ad Quir., 7. - Il règne
quelque incertitude sur la date précise qu'il faut
donner à cette tentative pour insurger la flotte
d'Etrurie. Quelques-uns ont pensé que L. Gellius,
dont il s'agit ici, légat de Pompée dans la
guerre contre les pirates (Flor., 3, 6), n'avait pu
conserver son commandement jusqu'en 691, et, en
conséquence, ils ont rapporté cette
mutinerie avortée à la première
conjuration de Catilina, en 689. En me fondant sur le
passage de Cicéron cité plus haut, il me
paraît plus probable de rapporter à la
seconde conjuration ce projet de révolte que fit
échouer la fermeté de L. Gellius. Il n'est
d'ailleurs nullement invraisemblable qu'un des amiraux de
Pompée, commandant une division de la flotte
romaine en 689, fût encore à la mer en 691,
deux ans après la destruction des pirates. La
nécessité de veiller sans cesse sur les
arrivages d'Egypte et de Sicile devait obliger le
gouvernement à entretenir une forte station
à l'embouchure du Tibre et sur les côtes
d'Etrurie.
|
 |
(12) Cic.,
Pro Mur., 25.
|
 |
(13) Cic.,
Pro Mur., 25. - Dixit duo corpora esse
reipublicae, unum debile infirmo capite, alterum firmum
sine capite. - Manuce propose de lire : firmo capite.
L'antithèse est mieux marquée de la sorte ;
mais il me semble évident que, dans les
idées de Catilina, la république
était mal gouvernée. J'ai suivi la
leçon ordinaire, qui contient une insulte
adressée aux consuls, fort probable dans la
situation (Cfr. Plut.,
Cic., 10).
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(14) Le
pouvoir le plus important déféré aux
consuls était celui de lever des soldats, et
d'enrôler tous les hommes en état de porter
les armes, à Rome et dans l'Italie.
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(15) Ascon.,
In tog. cand., p. 95. - Cic., ad
Att., 1, 1, 2.
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(16) Sall.,
Cat., 23.
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(17) Neque
suamet ipse scelera occultare, prorsus neque dicere neque
facere quidquam pensi habebat (Sall.,
Cat., 23).
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(18) Sall.,
Cat., 23, 26.
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(19) Cic.,
Pro Mur., 24, 26.
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(20) Plut.,
Cic., 14.
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(21) Cic.,
Pro Mur., 4.
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(22) Sall.,
Cat., 27. - App., Civ., II,
2.
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(23) Sall.,
Cat., 30.
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(24) Id.
Ibid.
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(25) Le
sénat leur refusait le triomphe, parce qu'ayant
été mis l'un et l'autre sous les ordres de
Pompée, en vertu de la loi Manilia, ils avaient
perdu le droit de prendre les auspices, et, par
conséquent, n'étaient plus habiles à
triompher. Marcius revenait de Cilicie, et
Métellus de Crète. - Les
généraux qui retournaient à Rome
pour demander le triomphe amenaient avec eux des
détachements de leur armée, pour
accompagner leur char dans cette cérémonie
(Cfr. Sall.,
Cat., 30. - Liv., Epit., 99, 100. -
Plut.,
Pomp., 30. - Dio Cass., XXXVI, 25).
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(26) Sall.
Cat., 30.
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(27) Id.,
ibid.
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(28) Cic.,
Cat., I, 3. - Remarquer le tour adroit
qu'emploie Cicéron pour excuser les craintes de
ces fugitifs : «Multi principes civitatis, Roma,
non tam sui conservandi, quam tuorum consiliorum
reprimendi causa, confugerunt».
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(29) Sall.,
Cat., 31. - Schol. Bob., in Vat., p.
320.
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(30) De
vi.
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(31) Cfr.
C. G. Waechter, Neus Archiv des Criminalrechts, t.
XIII, p. 8 et suiv.
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(32) Cic.,
Cat., I, 6.
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(33) Cfr.
Sall.,
Cat., 48. - Dio Cass., XXXVII, 32. -
Cic.,
Cat., I, 8.
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(34) Hors,
peut-être, le cas de flagrant délit. -
Senties in hac urbe esse carcerem, quem vindicem
nefariorum et manifestorum scelerum, majores nostri esse
voluerunt (Cic.,
Cat., II, 12).
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(35) Vell.,
I, 11. - Sall.,
Cat., 48.
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(36) Cic.,
Cat., I, 8. - On voit que Métellus
n'était pas encore parti pour le
Picénum.
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(37) Cicéron
appelle ironiquement M. Metellus virum optimum. -
Dion Cassius ne l'accuse pas de complicité avec
Catilina (XXXVII, 32).
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(38) Cic.,
Cat., I, 3.
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(39) Sall.,
Cat., 27. - Cic.
Cat., I, 4. - Cat., II,
3. - Cat.,
III, 6, 10. - Cat., IV,
6. - App., Civ., II, 3. - Plut.,
Cic., 18.
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(40) Sall.,
Cat., 28, 47. - Cic.,
Cat., I, 4.
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(41) App.,
Civ., 11, 3.
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(42) Cic.,
Pro Sul., 19.
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(43) Plut.,
Crass., 13. - Cic.,
15, 16.
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(44) Cic.,
Cat., I, 4.
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(45) Cic.,
Cat., I, 1. - Plut.,
Cic., 16.
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(46) Cic.
Cat. I, 1.
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(47) Propter
quasdam seditionum suspiciones (Cic.,
Cat., I, 2). - On voit avec quels
ménagements Cicéron parle de cet
événement. Il est évident qu'il
cherche à flatter le parti démocratique. L.
César, consulaire, parent de C. César et
petit-fils de Fulvius, massacré avec C. Gracchus,
était présent à la séance. -
En rappelant que Marius, sur un ordre du sénat,
avait fait mourir un tribun du peuple, le consul
compromet adroitement C. César, son neveu, ainsi
qu'il l'avait déjà fait dans le
procès de Rabirius.
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(48) Habemus
enim hujusmodi senatusconsultum, verumtamen inclusum
tabulis, tanquam gladium in vagina reconditum (Cic.,
Cat., I, 2).
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(49) Le
procès de Rabirius, ainsi qu'on l'a vu, n'avait
pas été intenté à d'autres
fins que d'établir l'inviolabilité des
citoyens, et d'enlever au sénat le pouvoir de
rendre un décret de sa propre autorité et
sans avoir consulté le peuple.
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(50) Non
referam, id quod abhorret a meis moribus (Cic.,
Cat., 1, 8). - Cicéron était
sans doute fort éloigné de croire alors
qu'il aurait à soutenir quelques jours plus tard
la thèse diamétralement opposée. Il
est singulier qu'en publiant les Catilinaires il
n'ait pas fait disparaitre cette phrase si remarquable et
si compromettante ; et je serais porté à
croire que, dans son improvisation, il en avait dit bien
davantage sur l'incompétence du sénat en
pareille circonstance.
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(51) Haec
jam adulta reipublicae pestis (Cic.,
Cat., I, 12).
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(52) Crudeliter
et regie factum ducerent (Id., ibid.).
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(53) Sall.,
Cat., 31. - Cicéron n'avait pas
encore à Rome de maison à lui.
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(54) Cic.,
Cat., I, 5, 13.
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(55) Victor
Leclerc, Des journaux chez les Romains, p.
208.
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(56) La
seconde Catilinaire fut prononcée devant le peuple
le 5 des Ides de novembre, le lendemain du premier
discours.
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(57) Ergo
in vastatione omnium tuas possessiones sacrosanctas
futuras putas ? (Cic.,
Cat., II, 8.)
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(58) Non
vident te cupere id, quod si adepti fuerint, fugitivo
alicui, aut gladiatori concedi sit necesse (Cic.,
Cat., II, 9).
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(59) Cic.,
Cat., II, 9.
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(60) Manuce
a donné la leçon de paene barbati :
j'ai suivi celle d'Orelli, bene barbati, qui
contraste avec le mot imberbes qui précède.
Je suppose que la mode de la barbe avait
été introduite a Rome par Catilina. Porter
la barbe, c'était alors se donner un air
militaire, c'était imiter les
vétérans de Sylla.
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(61) Cic.,
Cat., II, 10.
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(62) Cic.,
Cat., II, 13. - Quod ego, sic
administrabo, Quirites, ut si ullo modo fieri poterit, ne
improbus quidem in hac orbe poenam sui sceleris
sufferat.
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(63) Meliore
animo sunt (gladiatores) quam pars patriciorum (Id.,
ibid., 12).
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(64) Desinant
furere ac proscriptiones et dictaturas cogitare. Tantus
enim illorum temporum dolor inustus est civitati, ut jam
ista, non modo homines, sed ne pecudes quidem mihi
passurae videantur (Cic.
Cat., II, 9).
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(65) Id.,
ibid., 12.
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