Chapitre III - Tombeaux

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Tombeau de Diomède


Il était naturel que, maîtres d'un immense territoire et de richesses plus grandes encore, les Romains s'efforçassent de surpasser tous les autres peuples par la magnificence de leurs tombeaux ; aussi élevèrent-ils dans tout leur empire les plus splendides mausolées. Si nous ne pouvons admirer à Pompéi des monuments funéraires comparables, par leur grandeur, par leur luxe, au mausolée d'Adrien ou à la pyramide de Cestius, nous y voyons une réunion complète de tombeaux de toutes formes, et nous y trouvons surtout la constatation formelle d'un usage mentionné par tous les auteurs anciens (1) et confirmé chaque jour par de nouveaux exemples : nous voulons parler de celui de placer les tombeaux sur le bord des voies aux approches des villes, sans doute, comme le dit Varron, pour réveiller incessamment dans l'esprit du voyageur l'idée de la fragilité de la vie. Peut-être aussi l'amour-propre ne fut-il pas toujours étranger à cette coutume ; mais si tel pouvait être le mobile de l'orgueilleux parvenu Trimalcion (2), tel n'était pas le voeu modeste de Properce, qui, jaloux de reposer tranquille dans sa dernière demeure, s'écriait :

Je n'aimerais pas à avoir mon épitaphe au milieu du chemin.
«Non juvat in media nomen hahere via».

Et quand il demandait aux dieux de ne pas permettre à Cynthie de déposer ses restes dans des lieux fréquentés et que foulent sans cesse les pieds de la multitude :

Di faciant mea ne terra locet ossa frequenti
Qua facit adsiduo tramite vulgus iter (3)
.

Nous voyons, il est vrai, près de Baïes, la longue suite de sépultures appelée le Mercato del Sabbato ; à la porte de Pouzoles, la Via Campana est bordée de tombeaux , ainsi que la voie Appienne près de Mola di Gaeta, l'antique Formies ; qu'on entre à Rome par les voies Flaminienne, Tiburtine ou Labicane, les premiers monuments qu'on rencontre sont les mausolées de Néron, de la famille Plautia ou du boulanger Eurysace ; qu'on arrive par la voie Appienne, on traverse pendant dix milles la longue file de tombeaux ruinés, mise à découvert par les fouilles récentes ; mais à Pompéi, ce ne sont plus des constructions isolées, ou une succession de monuments informes ; c'est une voie garnie tout entière et de chaque côté, sur une longueur de près de 250 mètres, de sépulcres et de monuments ayant tous une destination funéraire, la plupart d'une parfaite conservation ; c'est enfin la fameuse voie des Tombeaux qui commence à la porte même de la ville et se dirige sur Herculanum. Peut-être, lorsque les autres voies qui aboutissent à Pompéi seront dégagées, les trouvera-t-on également bordées de monuments funéraires dont quelques-uns pourront présenter, soit dans leur disposition, soit dans leur architecture, quelque particularité nouvelle. Nous en verrons un exemple découvert en 18511 à la porte de Nola.

La rue des Tombeaux, déblayée de 1763 à 1770, et de 1811 à 1874, traversait le faubourg Augusto-Félix, fondé, ainsi que je l'ai dit, par Sylla et Auguste. Là des familles entières reposaient réunies comme au sein de leurs foyers ; là dormaient pour l'éternité le père de famille, la matrone, leurs enfants, et autour d'eux leurs affranchis ; là enfin, aux Ides de février et de mai, se célébraient les Ferales (4) et les Lemurales (5), ces fêtes lugubres destinées à honorer la mémoire de ceux qui avaient été ; mais familiarisés dès l'enfance avec ce tableau funèbre, les Pompéiens avaient fait de leur nécropole le but de leurs promenades, et c'était aux tombeaux, aux cyprès funéraires qu'ils demandaient l'ombre et la fraîcheur si précieuses sous ce climat brûlant ; c'était sur la pierre sépulcrale qu'ils s'asseyaient pour se reposer et jouer aux dés ou aux osselets ; c'était, enfin, dans cette avenue mortuaire que l'un des plus riches citoyens élevait sa maison de plaisance ! Singulier contraste des joies et du mouvement de la terre avec le silence et le calme de la dernière demeure où gisaient les trépassés !

Dans la description de ces divers monuments funèbres, nous suivrons l'ordre le plus naturel. Partant de la porte dite d'Herculanum, nous visiterons successivement tous ceux qui se trouveront à notre droite, et nous reviendrons à cette même porte en examinant ceux qui forment le côté gauche de la rue des Tombeaux.

Le premier monument important est le

Une enceinte qui contenait autrefois une stèle sans inscription de l'espèce de celles qu'on nomme columellae (6) précède la

A la suite se présente l'

Laissant à droite deux boutiques, la maison des colonnes de mosaïque et les grands bâtiments d'une hôtellerie, on trouve, au carrefour formé par la rue des Tombeaux et une autre rue se dirigeant plus au nord, une petite enceinte isolée sous le nom de l'

Derrière l'ustrinum, et isolé comme lui, s'élève un mausolée sans inscription, le

Près de là, on a trouvé sur la voie le squelette d'une femme tenant dans ses bras le plus jeune de ses enfants et suivie de deux autres. Cette infortunée portait trois anneaux d'or et de belles boucles d'oreilles ; l'un des anneaux était un serpent entortillé dont la tête se dirigeait vers l'extrémité du doigt. Les boucles d'oreilles consistaient en une traverse ayant à chaque bout deux perles suspendues à un fil d'or.

A l'extrémité des deux rues, on trouve un tombeau en ruine et sans inscription. Ce monument, qui n'offre rien de remarquable, se compose de deux assises carrées de pierres de taille reposant sur un degré.

Derrière le monument des Libella est une petite enceinte qui dut renfermer les sépultures de quelque famille d'une fortune médiocre.

On trouve ensuite le

Derrière ce monument sont deux tombeaux ruinés inconnus, composés chacun d'un grand cippe en maçonnerie porté par un soubassement contenant une grande chambre sépulcrale voûtée. Au pied de ces tombeaux existe un grand nombre de columelles de tuf dont aucune ne porte d'inscription. En traversant la rue qui s'étend derrière les monuments que nous venons de décrire, on trouve à l'extrémité septentrionale de l'auberge trois grands sarcophages composés de dalles de tuf ; deux sont encore entiers et n'ont point été ouverts.

Revenant à la rue des Tombeaux, on voit à la suite de celui de Gratus, et sur le même soubassement, les sépultures de la famille Arria. La première et la plus importante est le

Ces sépultures sont les dernières qui se présentent sur le côté droit de la rue des Tombeaux ; en traversant celle-ci, on trouve en face la villa de Diomède, puis, en revenant vers la ville, le

Entre ce tombeau et le suivant est un assez grand espace vide, fermé seulement du côté de la rue par un mur d'appui ; il ne contient qu'une petite borne sépulcrale ou columella renversée, mais il devait sans doute renfermer un monument que la destruction de Pompéi aura empêché d'élever.

Après ce monument se présentent la cour de la maison dite de Cicéron, une rangée de boutiques, une citerne, l'entrée de la villa de Cicéron, puis enfin une rue de l'autre côté de laquelle on trouve les

Enfin, il ne reste plus avant la porte d'Herculanum que le

Et au-delà de la porte de Nola :


(1)  Cic. Tuscul. I, 7 ; Tit. Liv. XXXVIII, 56 ; Senec. Ep. 91 ; Plin. VII, 29 ; Juv. Sat. I, 171 ; Sat. V, 55 ; Mart. VI, 28 ; XI, 14 ; Corn. Nepos, Attic. 22, etc. La loi des Douze tables défendit d'enterrer ou de brûler aucun cadavre dans les villes. Cette disposition, bien qu'elle ait souvent été enfreinte, a pu contribuer à perpétuer en Italie un usage depuis longtemps adopté par la Grèce.

(2)  Petr. Sat. LXXI

(3)  Properce, Eleg. III, 16.

(4)  Ovid. Fast. II, 533

(5)  Ovid. Fast. V, 451

(6)  Cf le dessin d'une columella formant le tombeau de la seconde Tychè. Les columellae étaient des stèles plates représentant le galbe de la partie supérieure d'un corps humain, mais sans détails. Fiorelli (Giornale degli scavi, p.67) croit pouvoir y reconnaître une allusion aux ombres dont le contour seul est apparent.